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Le commerce des télécommunications

Les conséquences de l'Accord de l'OMC sur le commerce des services de télécommunications de base qui est entré en vigueur le 5 février de cette année, sont examinées dans deux articles dont le premier, ci-après, passe en revue les questions que le prochain Forum mondial des politiques de télécommunication sur le commerce des télécommunications (Genève, 16-18 mars) examinera vraisemblablement.

Le 16 mars, près de 700 des grands leaders du monde des télécommunications vont assister au deuxième Forum mondial des politiques de télécommunication de l'UIT qui se tiendra au Centre international de conférences de Genève. Cette année, les délégués n'examineront plus les progrès de la technologie des satellites (thème du Forum de 1996) mais s'intéresseront aux nouveaux types de structures qui vont voir le jour dans le cadre de l'Accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur le commerce des services de télécommunication.

Les choses étant ce qu'elles sont, l'environnement des télécommunications au-delà de 1998 est encore incertain. Les forces qui sont actuellement à l'oeuvre sur les marchés mondiaux des télécommunications et les changements de cap radicaux en matière économique qu'a entraînés la mondialisation de l'économie sont complexes et difficiles à prévoir. La seule chose à peu près certaine est que, cette année, les délégués présents au Forum auront du pain sur la planche puisqu'ils devront essayer de prévoir un avenir dont personne ne connaît encore vraiment les règles du jeu, et encore moins les protagonistes.

Des marchés en transition

La libéralisation des marchés des télécommunications, rendue officielle par la conclusion de l'Accord de l'OMC ainsi que d'accords régionaux comme celui de l'Union européenne, vient renforcer une tendance déjà très nette dans l'industrie des télécommunications depuis plusieurs années: quelques pays, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Suède, la Finlande, le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Chili ont déjà démantelé les marchés monopolistiques de la téléphonie fixe et de nombreux autres ont ouvert certains segments bien précis de leur marché, le plus souvent le cellulaire mobile, à la concurrence.

La déferlante de la libéralisation qui s'abat aujourd'hui sur la communauté des télécommunications est la résultante d'importantes mutations de l'économie mondiale, lesquelles s'expliquent par de nombreux facteurs, technologies numériques nouvelles, plus grande mobilité de la population, dépendance accrue vis-à-vis des réseaux de transmission de données et des réseaux vocaux, essor du traitement et de la diffusion électroniques, de l'information en particulier sur Internet, chute des prix des communications longue distance et internationales, multiplication des transactions commerciales panrégionales et mondiales, pour n'en citer que quelques-uns.

Etant donné que le coût de la transmission brute continue de baisser, les marchés mondiaux s'ouvrent et les télécommunications deviennent un produit comme un autre. Les périphériques des réseaux de télécommunication étant de plus en plus intelligents, les possibilités qui s'offrent aux utilisateurs sont plus nombreuses: ils peuvent en effet utiliser des terminaux différents, construire leurs propres réseaux et expérimenter de nouvelles façons d'agir. Dans un tel contexte, tous, de l'entreprise au particulier, exigent maintenant de pouvoir définir, satisfaire et maîtriser leurs propres besoins d'information et de communication et de pouvoir s'adresser à différents fournisseurs pour choisir les produits dont ils ont besoin.

Dans le même temps, de nombreux opérateurs constatent qu'il n'est plus possible ni même souhaitable de conserver l'ancien régime des monopoles d'Etat qui a dominé l'industrie des télécommunications pendant de nombreuses années. Avec la privatisation récente des entreprises de télécommunication dans laquelle on voit un moyen de générer des recettes pour l'Etat et d'améliorer l'efficacité de la fourniture des services de télécommunication, les opérateurs du secteur privé désireux d'exploiter des niches commerciales perçues comme telles ou d'accroître leurs profits, sont de plus en plus nombreux. Ces opérateurs qui ne sont plus bridés par des règles d'exploitation contraignantes élargissent leur horizon et cherchent à accroître leurs parts de marché en offrant des services de bout en bout à leurs clients sur une base régionale et mondiale.

Ils souhaitent en général que l'on aille plus loin dans la libéralisation de la fourniture des services de télécommunication puisqu'ils pourront ainsi exploiter de nouveaux marchés et de nouveaux créneaux commerciaux. Ils sont conscients qu'avec cette plus grande libéralisation du marché ils vont perdre la mainmise qu'ils avaient sur les utilisateurs des télécommunications autrefois captifs mais estiment, non sans tort, que la croissance probable de leurs recettes va compenser les risques. Les opérations offshore, les alliances avec d'autres exploitants, la création de nouveaux segments de marché et les innovations en matière de fixation et de regroupement des taxes de télécommunication sont toutes des perspectives séduisantes pour les nouveaux exploitants de télécommunication qui ne demandent pas mieux que de tirer parti des multiples opportunités qui s'offrent à eux dans le monde des télécommunications.

Le nouveau paysage

C'est dans ce contexte que l'Accord de l'OMC sur les télécommunications de base a pris forme. Produit de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) signé à Marrakech en avril 1994, l'Accord fait obligation aux pays participants d'ouvrir progressivement dans les années à venir leur marché national à la participation étrangère. Très nombreux sont les pays qui n'ont pas encore indiqué leur intention de devenir membres de l'Accord mais les 72 qui ont déjà pris des engagements spécifiques représentent à eux seuls près de 93%, en valeur, des services de télécommunication mondiaux.

Dans le cadre du nouvel Accord, les pays ont pris essentiellement deux types d'engagement: le premier, qui concerne l'accès au marché et le traitement national, précise quels secteurs de son marché un pays doit ouvrir à la concurrence; le second a trait aux disciplines réglementaires et commerciales, ainsi qu'aux obligations juridiques contractées par le pays. Les prescriptions générales qui s'appliqueront dans la nouvelle structure comprennent l'adhésion au principe de l'OMC de la nation la plus favorisée (NPF) garantissant aux pays un traitement non discriminatoire dans les arrangements commerciaux internationaux, des dispositions prévoyant la transparence dans les procédures d'octroi de licences et les procédures réglementaires, la création d'organes de réglementation nationaux garantissant le traitement équitable d'opérateurs concurrents et une cohérence dans le traitement national des fournisseurs étrangers et nationaux.

L'entrée en vigueur de l'Accord devrait faire baisser sensiblement les tarifs des télécommunications, en particulier le coût des appels internationaux. Récemment encore, les taxes perçues habituellement sur ces appels étaient entre trois et dix fois plus élevées que celles pratiquées pour les appels nationaux longue distance même si, avec la généralisation des câbles à fibres optiques à haute capacité le coût effectif d'acheminement de l'appel risque de ne pas être aujourd'hui très différent.

Préoccupations particulières

Malgré les avantages attendus pour les consommateurs - baisse des tarifs téléphoniques - nombreux sont les pays et les opérateurs qui restent très réservés sur l'Accord de l'OMC. De nombreux pays en développement en particulier redoutent les conséquences des nouveaux arrangements pour leur réseau national de télécommunication, non sans raison, car ils paient souvent beaucoup plus cher pour l'équipement, la maintenance et le soutien technique que les pays riches et ce pour plusieurs raisons: difficultés géographiques (climat, distance), inefficacité des mécanismes d'achat et absence d'une base de production locale qui les contraint à acheter à l'étranger à prix d'or des équipements de télécommunications de base. Par ailleurs, bon nombre de ces pays ont du mal à recouvrer les coûts élevés de maintenance des réseaux car la grande majorité de leurs habitants n'a pas les moyens de s'acheter un téléphone; ces pays sont fortement tributaires des recettes du secteur privé, c'est-à-dire des règlements internationaux. De nombreuses administrations craignent que le démantèlement de l'ancien système ait de graves conséquences sur la croissance et le développement de leur réseau.

Ces questions seront au coeur du Forum des politiques de télécommunication de l'UIT qui se tiendra en mars pendant trois jours. Au cours de ce Forum les délégués examineront les répercussions de l'Accord de l'OMC sur la souveraineté nationale dans le domaine des télécommunications et étudieront de nouvelles solutions réglementaires pour les accords d'interconnexion. Ils se pencheront aussi sur les nouveaux systèmes de fixation des prix qui pourraient voir le jour parallèlement au système des taxes de répartition et examineront différents moyens propres à faciliter le passage à des taxes de répartition fondées sur les coûts, en particulier pour les pays qui seraient les plus touchés par une perte des recettes issues des règlements des comptes.

La nécessite du changement

La réforme du système des taxes de répartition sera sans doute le problème le plus épineux. La Commission d'études 3 de l'UIT-T a déjà élaboré un ensemble de sept principes qui devraient guider ce processus de réforme: continuité/viabilité des services de télécommunication internationaux; transparence; non-discrimination; tarifs orientés vers les coûts; concurrence sur les marchés; répercussion des réductions de coût sur le client; facilité de transition pour les pays en développement.

Du 16 au 18 mars, les délégués du monde entier devront oeuvrer pour forger un consensus sur des arrangements transitoires qui permettraient de progresser vers un système nouveau, équitable pour tous. Au moment où certains pays comme les Etats-Unis menacent de prendre des décisions unilatérales sur la question des taxes de répartition, il est devenu urgent de définir les modalités et le calendrier de la réforme de ces taxes. Si les pays continuent de refuser de s'asseoir à la table des négociations, la seule certitude aujourd'hui semble être que cette réforme se fera sans eux. En tout état de cause, l'Accord de l'OMC prévoit des mesures concernant la réforme des taxes de répartition au cas où il n'y aurait pas de progrès réels d'ici à l'an 2000, dans 18 mois à peine, c'est-à-dire demain.

Le Forum est donc l'occasion de réunir toutes les parties pour tenter de trouver comment aller de l'avant dans l'intérêt bien compris de tous, pas uniquement en ce qui concerne la réforme tarifaire, mais dans le contexte plus large du nouvel environnement réglementaire. En effet, les délégués vont s'employer à façonner le paysage des télécommunications de demain. L'UIT comme toujours sera là pour garantir une certain équité et faire en sorte que tous les habitants de la planète aient accès aux services de communication essentiels.