Il y a une quinzaine d'années, juste avant l'avènement du World Wide Web, la
toile, l'Internet, était essentiellement utilisé par les milieux universitaires
et les instituts de recherche, principalement nord-américains, n'était assorti
d'aucune obligation de rentabilité et servait le plus souvent comme moyen de
courrier électronique et de transfert de fichiers. Avec l'invention du web on a
assisté à une importante croissance de l'utilisation de l'Internet dans tous les
pays de l'OCDE dès le milieu des années 90, et à la privatisation croissante de
son réseau dorsal. Aujourd'hui, l'Internet est présent dans la plupart des pays
du monde et ne se limite plus aux seuls pays développés.
Les statistiques "démographiques" relatives à l'Internet changent rapidement.
La région Asie-Pacifique représente en effet maintenant le plus grand nombre des
utilisateurs Internet et mobiles et elle est le numéro 1 de l'utilisation des
technologies évoluées de l'Internet, telles que l'accès large bande et la
transmission de données mobiles. La République de Corée et Hong Kong, Chine,
sont les deux premiers pays du monde en termes de pénétration de l'Internet
large bande. Quant aux technologies de l'Internet mobile, ce sont le Japon et la
République de Corée qui ont été les deux premiers pays à lancer sur le marché
des réseaux mobiles de la troisième génération. Toutefois, un nombre élevé de
pays en développement (notamment en Afrique) restent grandement sous-représentés
en ce qui concerne l'utilisation générale de l'Internet.
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Légende de la figure
Changements démographiques dans l'utilisation de l'Internet:
Utilisateurs de l'Internet par région, 2001-2004
Légende graphique de gauche:
2001: Nombre d'utilisateurs de l'Internet par région
Total estimé à 500 millions
Amériques 38%
Europe 29%
Afrique 1%
Asie-Pacifique 32%
Légende graphique de droite:
2004: Ventilation des utilisateurs de l'Internet par région
Total estimé à 875 millions
1 Amériques 31%
2 Europe 29%
3 Afrique 3%
4 Asie-Pacifique 37%
La région Asie-Pacifique a dépassé la région Amériques; elle est la
région où l'on a enregistré le plus haut pourcentage d'utilisateurs de
l'Internet, sans compter son potentiel de croissance qui est énorme ... |
Comment est actuellement géré l'Internet
L'Internet est constitué par l'interconnexion mondiale de centaines de
milliers de rouages, c'est-à-dire d'ordinateurs, d'équipements de communication
et autres systèmes informatiques qui, autrement, sont indépendants les uns des
autres. Cette interconnexion est possible grâce à toute une série de normes, de
procédures et de formats de communication qu'utilisent ensemble les réseaux,
dispositifs et installations informatiques qui sont raccordés les uns aux
autres, toute cette infrastructure évoluant régulièrement pour faire place à de
nouvelles fonctionnalités. Les procédures grâce auxquelles les ordinateurs
communiquent les uns avec les autres sont appelées des "protocoles", la suite
des protocole utilisée dès le début par Internet étant désignée par
l'abréviation TCP/IP.
Le débat sur la gouvernance de l'Internet porte quant à lui essentiellement
sur la question bien particulière de la gestion des ressources, c'est-à-dire de
ces ressources indispensables à l'utilisation de l'Internet, et plus
particulièrement sur la création et la gestion de noms de domaine Internet de
premier niveau ainsi que sur l'attribution d'adresses Internet, ... mais aussi
sur la question de savoir qui établit les règles du jeu.
Dans la gestion/gouvernance des noms de domaines, les acteurs principaux sont
le Ministère du commerce des Etats-Unis, l'ICANN (Internet Corporation for
Assigned Names and Numbers), l'IANA (Internet Assigned Numbers Authority),
fonction actuellement confiée à l'ICANN par l'Administration américaine), des
organisations internationales ou régionales responsables des noms de domaine de
premier niveau correspondant à des codes de pays (ccTLD) telles que le Council
of European National Top-Level Domain Registries (CENTR), l'Asia Pacific
Top-Level Domain Association (APTLD), la Latin American and Caribbean Top-Level
Domain Association (LACTLD), la North America Top-Level Domain Organization
(NATLD) et enfin l'African Top-Level Domain Association (AFTLD).
En ce qui concerne la gestion et la gouvernance des adresses de protocole
Internet, les protagonistes sont des organes qui exercent ce qu'on appelle la
"fonction IANA", assistée des registres Internet régionaux que sont l'AfriNIC,
l'APNIC, l'ARIN, le LACNIC et le RIPE NCC, ces registres ayant par ailleurs
constitué l'Organisation chargée des ressources de numéros (NRO) pour
officialiser leur coopération et pour protéger "l'ensemble des ressources de
numéros non attribués, promouvoir et protéger le processus ascendant
d'élaboration des politiques et pour faire office de coordonnateur des apports
versés par la communauté de l'Internet au système des registres régionaux".
L'Union internationale des télécommunications (UIT) a été chargée par ses
Etats Membres du travail relatif au système des noms de domaine et aux adresses
de protocole Internet.
L'autorité suprême en ce qui concerne les changements ou modifications
apportés au fichier de zone racine, c'est-à-dire au premier niveau
du système de noms de domaine, est le Ministère du commerce des Etats-Unis.
Bref historique de l'Internet L'Internet a
été initialement constitué, il y a plus de vingt ans, en tant que groupe
fermé de réseaux militaires pour des communications électroniques à
l'échelle mondiale. A cette époque, les travaux de recherche, de
développement et d'application étaient principalement financés par le
Ministère de la défense (DOD) des Etats-Unis. Dans les années 80, ce
petit rassemblement de réseaux, qui comptait moins de quelques centaines
d'ordinateurs hôtes, était désigné sous l'appellation de "Internet du
DOD".
Dans la deuxième moitié des années 80, la National Science Foundation,
Fondation américaine pour la science (NSF), ainsi que des instituts de
recherche et des universités d'autres pays, ont débloqué des crédits
pour mettre sur pied des réseaux non militaires: c'est ainsi que le
premier réseau central de la NSF devait voir le jour aux Etats-Unis en
1986. Au début des années 90, un certain nombre de réseaux régionaux,
financés à l'origine par la NSF, commencèrent à vendre à des conditions
commerciales un accès à l'Internet.
C'est à Genève, en décembre 1990, que grâce aux travaux de Tim
Berners-Lee, qui travaillait à l'époque au CERN, naquit le World Wide
Web, la toile qui devait révolutionner l'Internet, en le rendant enfin
accessible à des non-techniciens, aux profanes.
Enfin, c'est au début de 1991 qu'un certain nombre de serveurs web
furent établis dans l'Europe entière, suivis en décembre 1991 par
l'installation du premier serveur web aux Etats-Unis, à l'Université Stanford. |
Certains pays protestent, pourquoi?
Lors de la préparation finale de la première phase du Sommet mondial sur la
société de l'information, qui a eu lieu à Genève en décembre 2003, la question
de la gouvernance de l'Internet a été l'objet d'un long débat de la part des
Etats et d'autres parties intéressées. Un accord a été trouvé sur certains
principes fondamentaux, mais il n'en demeure pas moins des divergences d'opinion
et des positions conflictuelles en la matière.
Une partie du problème tient à la grande diversité des sujets qu'on pourrait
considérer comme relevant du thème général de la gouvernance de l'Internet.
Certains considèrent que le problème devrait être examiné d'un point de vue
général, pour inclure des questions telles que la gestion des ressources
Internet, les modalités d'interconnexion et les points d'échange Internet, le
spam, la cybersécurité, l'accès/service universel, les droits de propriété
intellectuelle, la protection de la sphère privée, etc.
D'autres sont de l'avis par contre qu'il faut donner une définition plus
stricte de la gestion de la gouvernance des ressources Internet que sont en
particulier les noms de domaine et les adresses. Pour l'heure, c'est là que
porte l'essentiel du débat, d'âpres discussions partageant les milieux
technologiques depuis maintenant plus de dix ans.
C'est après qu'on eut constaté qu'il convenait d'explorer plus avant ces
questions qu'a été créé le Groupe de travail sur la gouvernance de l'Internet (GTGI),
groupe multi-parties prenantes qui a été convoqué par le Secrétaire général de
l'ONU et chargé de faire rapport sur ses conclusions à la seconde phase du
Sommet mondial. Le GTGI a été instauré en novembre 2004.
Composé d'un groupe d'experts indépendants de plus de 30 pays, le GTGI a
publié son rapport en juillet 2005. Entre autres questions, il s'y efforce de
donner une définition acceptable de la "gouvernance de l'Internet". Il a par
ailleurs contribué à cerner un certain nombre de questions de politique publique
pertinentes et à mieux faire comprendre les fonctions et responsabilités
respectives des Etats, des organisations intergouvernementales et
internationales, d'autres instances du secteur privé et de la société civile,
des pays tant développés qu'en développement.
Selon la définition pratique du GTGI, la gouvernance de l'Internet c'est
l'élaboration et l'application par Etats, par le secteur privé, par la société
civile, dans leurs fonctions respectives, d'une communauté de principes, de
normes, de règles, de procédures décisionnelles et de programmes propres à
façonner l'évolution et l'utilisation de l'Internet.
Pour ce qui est de la politique publique et du contrôle au niveau mondial, le
GTGI a convenu que toute forme d'organisation pour la fonction de
gouvernance/contrôle devrait respecter les principes suivants:
"Aucun gouvernement ne devrait jouer à lui seul un rôle prépondérant
dans la gouvernance de l'Internet sur le plan international.
La forme d'organisation associée à la fonction de gouvernance sera
multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation
des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations
internationales.
La forme d'organisation associée à la fonction de gouvernance fera appel
à toutes les parties prenantes et les organisations intergouvernementales ou
internationales concernées dans le cadre de leur rôle respectif."
Le GTGI a convenu que, compte tenu du caractère de plus en plus international
de l'Internet et du principe de l'universalité, il importait d'autant plus
d'examiner les mécanismes de gouvernance existants. Pour ce faire, il a retenu
pour examen quatre modèles d'organisation possibles.
Ces options comprenaient différents scénarios favorables à une
internationalisation plus poussée du contrôle de l'Internet, avec une plus
grande participation des Etats, notamment en ce qui concerne les questions de
politique publique, comme le souhaitent de nombreux pays, ou au contraire à un
traitement dans le cadre de structures existantes, comme le préconisent les
Etats-Unis et d'autres pays.
Aucune des options en question n'a donné à penser que l'Organisation des
Nations Unies devrait faire office d'organe technique chargé de la gestion des
ressources de l'Internet, ni préconisé la création d'une nouvelle institution
onusienne; de fait, certaines ne mentionnent absolument aucun rôle de
l'Organisation des Nations Unies.
Le GTGI a recommandé par ailleurs que soit créé un espace nouveau, ou
"forum", dans lequel toutes les parties prenantes puissent s'entretenir sur un
pied d'égalité de toutes les questions qui se rapportent à la gouvernance de
l'Internet. Il n'a pas été prévu que ce forum aurait des pouvoirs décisionnels.
Si ce n'est pas cassé pourquoi le réparer? Ou pourquoi le statu quo fait-il
problème pour certains?
Le processus du SMSI a constaté que l'Internet, rouage central de
l'infrastructure de la société de l'information, a cessé d'être un réseau à la
disposition du monde de la recherche et des milieux universitaires pour devenir
un dispositif mondial ouvert au grand public. L'Internet est maintenant un
important moyen de communication et un outil de commerce de portée mondiale,
d'une importance cruciale pour les peuples et les gouvernements de tous les
pays, et de plus en plus essentiel pour leur sécurité nationale.
A la première phase du SMSI, qui a eu lieu en décembre 2003, tous les Etats
ont reconnu que: "Le pouvoir de décision en ce qui concerne les questions de
politique publique liées à l'Internet, est le droit souverain des Etats. Ceux-ci
ont des droits et des responsabilités en ce qui concerne les questions de
politique publique liées à l'Internet, qui ont une portée internationale".
Un certain nombre de pays considèrent que les actuels arrangements de
gouvernance pour le "contrôle" des ressources essentielles de l'Internet
reflètent l'origine du réseau qu'était l'Internet pour le monde de la recherche
et les milieux universitaires et ne sont pas bien adaptés à l'environnement
d'aujourd'hui.
Pour certains, c'est une seule et même instance qui devrait examiner les
questions liées à la gouvernance de l'Internet, tandis que pour d'autres, cette
solution n'est pas possible étant donné la grande diversité des questions à
examiner.
Les pays en développement ont déjà fait observer qu'il leur est difficile,
étant donné les ressources limitées dont ils disposent, de garder la trace de
tous ces tenants et aboutissants, et qu'ils ne pensent pas être suffisamment
représentés dans les structures de gouvernance de l'Internet.
De nombreux pays sont préoccupés de constater qu'un seul Etat, à savoir les
Etats-Unis, a une relation spéciale et contractuelle avec l'ICANN. Or, lors de
la création de l'ICANN avec l'aide du Ministère du commerce américain et
d'autres acteurs en 1998, le Gouvernement des Etats-Unis avait indiqué que sa
fonction de contrôle prendrait fin en septembre 2000. Certains font valoir que
la relation spéciale et contractuelle qu'entretient le Gouvernement des
Etats-Unis avec l'ICANN a une incidence sur le processus décisionnel de l'ICANN.
Plus récemment, en juin 2005, le Gouvernement des Etats-Unis a annoncé
l'adoption d'un nouvel ensemble de principes affirmant que, pour l'heure au
moins, il "continuera de remplir son rôle historique en autorisant les
changements ou modifications apportés au fichier de la zone racine faisant
autorité" et que "Les Etats-Unis continueront d'exercer un contrôle afin que l'ICANN
maintienne son cap et remplisse sa principale mission technique".
Dans le même document, les Etats-Unis "reconnaissent que les gouvernements
ont des préoccupations légitimes en matière de politique publique et de
souveraineté par rapport à la gestion de leur ccTLD. Aussi, les Etats-Unis
s'engagent ils à travailler avec la communauté internationale pour répondre à
ces préoccupations, compte tenu de la nécessité fondamentale de garantir la
stabilité et la sécurité du système des noms de domaine de l'Internet."
Les raisons pour maintenir le statu quo
Les partisans du maintien du statu quo font valoir que les organes qui sont
actuellement chargés de l'administration des ressources de l'Internet ont bien
travaillé en faisant face à la croissance et au déploiement rapides de
l'Internet, et qu'ils ont su répondre sans tarder aux demandes des uns et des
autres.
D'autres font valoir fréquemment que c'est le secteur privé qui devrait
donner le la car il sait innover avec rapidité, tandis que l'implication des
gouvernements aurait pour effet simplement de politiser la gestion de
l'Internet.
D'autres encore sont de l'avis que le Gouvernement des Etats-Unis ne s'est
jamais, dans sa fonction de contrôle, immiscer dans les processus décisionnels
de l'ICANN.
Ce qui est condamné, disparaît: pourquoi donc éprouver le besoin d'un
changement?
Ceux qui sont contre le maintien du statu quo dénoncent l'absence de
légitimité internationale du système actuel et font valoir que l'ICANN sera
toujours assujetti au droit des Etats-Unis, et qu'en conséquence, il est et
restera un vecteur de l'influence américaine.
Les partisans du statu quo considèrent que les dispositions actuelles qui
accordent aux Etats-Unis l'autorité suprême sur la présence des autres pays dans
le cyberespace (en d'autres termes les fameux ccTLD) posent un problème pour la
souveraineté de ces pays et pour la sécurité des Etats, ceux en particulier qui
n'entretiennent pas de bonnes relations avec Washington.
Ils font par ailleurs observer que le Gouvernement des Etats-Unis n'a pas
tenu la promesse qu'il avait faite de mettre fin à sa fonction de contrôle à l'ICANN
au plus tard en septembre 2000.
En résumé, si la structure de gouvernance existante n'est que rarement
contestée pour gérer les questions techniques, nombreux sont ceux qui
considèrent qu'elle ne rend pas suffisamment compte de la fonction des Etats
dans le domaine de la politique publique.
PrepCom-3: apparition des premières fissures
Le rapport du GTGI a été soumis à la troisième séance du Comité de
préparation (PrepCom-3), 19-30 septembre, pour examen préalablement à la seconde
phase du Sommet mondial sur la société de l'information, qui se tiendra à Tunis,
du 16 au 18 novembre 2005.
Après avoir démarré lentement en raison de la divergence des positions, le
tempo s'est accéléré après la diffusion d'un projet de document de synthèse du
Président, l'Ambassadeur Masood Khan du Pakistan. Dès le début de la deuxième
semaine, des groupes ont été constitués pour rédiger des projets destinés aux
document final du SMSI sur des questions allant du spam à la cybercriminalité en
passant par les coûts d'interconnexion et, notamment, la gestion des ressources
critiques de l'Internet, telles que les noms de domaine et les adresses IP.
Il n'a pas été proposé de mettre fin à la fonction technique de l'ICANN, les
Etats-Unis faisant valoir au contraire que l'ICANN devrait se concentrer sur sa
mission technique essentielle. Toutefois, cette situation ne résout pas le
problème de savoir comment les pays peuvent parvenir à concilier leurs
divergences sur les questions de politique publique, et de savoir si ce débat
devrait avoir lieu dans un cadre institutionnalisé ou non. Dans l'affirmative,
quelle forme devrait-être envisagée?
Dans l'incapacité de parvenir à un accord dans le peu de temps qui lui était
imparti, le PrepCom-3 a décidé de transmettre pour approfondissement neuf
propositions émanant d'Etats, parallèlement à la "base de réflexion" proposée
par le Président sur la gouvernance de l'Internet; les propositions sont
exposées dans les documents ci-dessous: