Télégraphie transatlantique
![](/itunews/images/2007/02/pioneer01.jpg) Cyrus
W. Field (1819–1892) l’entrepreneur à qui on doit le câble transatlantique. Né
en 1819 dans le Massachusetts (Etats-Unis), Field fit fortune dans l’industrie
du papier. |
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Les débuts de la télégraphie internationale, sous-marine, remontent à 1850
lorsque la première ligne fut tirée entre l’Angleterre et la France. Le lecteur
voudra bien se reporter à notre article de la
Page des pionniers de
décembre 2006 où nous posions la question de savoir quel lien pouvait établir un
mât porte-drapeau de Liverpool (Royaume-Uni) entre l’ingénieur Isambard Kingdom
Brunel et l’Atlantic Telegraph Company. La réponse se trouve, d’une part, dans
la dernière réalisation de Brunel: le Great Eastern, navire qui posa le
premier câble télégraphique transatlantique opérationnel; après le désarmement
du navire en 1888, un de ses mâts est devenu un porte-drapeau à l’extérieur du
stade de football de Liverpool. D’autre part, c’est à Liverpool que s’est tenue,
en 1856, la première réunion de l’Atlantic Telegraph Company.
L’impact de Field
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![](/itunews/images/2007/02/pioneer02.jpg)
W.H. Russel |
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Le navire en bois HMS Agamemnon croise la route d’une baleine en
posant le premier câble télégraphique transatlantique |
Pour que la télégraphie transatlantique puisse devenir une réalité, il
fallait certes des progrès techniques, tels que l’utilisation de la gutta-percha
pour l’isolation des câbles sous-marins (voir la
Page des pionniers de décembre),
mais également la clairvoyance d’un entrepreneur. L’homme de la situation fut
Cyrus West Field, véritable moteur du projet.
En 1854, l’ingénieur britannique Frederick Gisbourne demanda à Field
d’investir dans la pose d’une ligne télégraphique entre Terre-Neuve (Canada) et
New York. Elle devait permettre aux messages envoyés depuis l’Europe de parvenir
aux Etats-Unis plus rapidement, les navires pouvant les retransmettre dès qu’ils
se trouvaient à portée des côtes canadiennes. Field accepta de financer le
projet, prévoyant déjà à terme de tirer une ligne transatlantique. Il suffirait
ainsi de quelques minutes pour qu’un message envoyé de Londres parvienne à New
York, au lieu de 12 jours!
La première liaison
![](/itunews/images/2007/02/pioneer03.jpg) |
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Le Great Eastern dans le port de Heart’s
Content (Canada).
L’énorme navire fut le premier à être doté d’une double coque |
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Le câble transatlantique allait suivre un tracé d’un peu plus de 3000 km et
être immergé à des profondeurs atteignant les 2400 brasses (4,39 km). La
réussite de l’opération reposait sur une véritable prouesse technique jamais
encore accomplie. Par ailleurs, il fallait surmonter l’opposition politique et
le manque de soutien financier aux Etats-Unis, compte tenu de la récession
économique dans laquelle était plongé le pays. Malgré tout, Field trouva un
appui auprès des principaux centres de commerce et du gouvernement britanniques.
Il créa l’Atlantic Telegraph Company, dont le comité directeur comptait Samuel
Morse et John Watkins Brett, qui avait ouvert la ligne télégraphique entre
l’Angleterre et la France quelques années auparavant.
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Le plus gros navire au monde
Brunel naquit à Portsmouth (Angleterre) en 1806. Outre de nombreux projets
ferroviaires, il conçut le Great Britain lancé en 1843, qui fut le premier
navire à coque en acier propulsé par hélices à traverser l’Atlantique. Pour
rejoindre l’Inde et l’Australie, Brunel construisit le plus gros navire jamais
construit à l’époque, le Great Eastern. Mesurant plus de 200 mètres de long et
pouvant transporter 4000 passagers, il était conçu pour relier Londres à Sydney
sans avoir à refaire le plein.
En 1859, alors qu’il inspectait le
Great Eastern
avant son voyage inaugural,
Brunel eut une attaque et décéda quelques jours après. Il ne vécut pas assez
longtemps pour voir l’échec commercial du navire, pourtant rapide et luxueux. En
1864, le
Great Eastern
fut vendu pour être transformé en câblier.
![](/itunews/images/2007/02/pioneer04.jpg)
Isambard Kingdom Brunel
(1806-1859)
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C’est en 1857 que débute la première tentative de pose du câble
transatlantique: l’USS Niagara de la Marine des Etats-Unis leva l’ancre à
Valentia, une île au large du Comté du Kerry au sud-ouest de l’Irlande, à
destination de Trinity Bay sur la côte de Terre-Neuve. Le navire ne pouvant
transporter que la moitié de la longueur de câble nécessaire, l’autre moitié fut
transportée par le HMS Agamemnon de la marine royale, qui l’accompagnait:
les deux moitiés devaient être raccordées au milieu de l’Atlantique, puis l’Agamemnon
devait tirer le câble jusqu’à destination.
Le Niagara déploya le câble avec beaucoup de précaution, en envoyant
régulièrement des signaux le long de la ligne pour tester son intégrité. Le
câble se composait de sept fils de cuivre recouverts par trois couches de
gutta-percha, torsadés avec du chanvre goudronné et des torons compacts de fils
d’acier. Malheureusement, il se rompit avant la moitié du trajet.
Les mêmes câbliers essayèrent un an plus tard, mais suivant une autre
technique: ils firent la moitié du trajet transatlantique et là raccordèrent les
deux moitiés du câble, tirant ensuite leurs extrémités vers chacune des deux
destinations. Après plusieurs déconvenues, la première liaison télégraphique
transatlantique fut achevée en août 1858. La Reine Victoria et James Buchanan,
Président des Etats-Unis, l’utilisèrent pour échanger des télégrammes de
félicitations. Toutefois, le câble ne permit pas de transmettre des messages de
manière fiable et la ligne s’interrompit au bout de quelques semaines.
Enfin la réussite
Field ne renonça pas. Malgré des retards causés par la guerre de Sécession,
il parvint à réunir les fonds nécessaires pour tenter une nouvelle fois de
relier les deux bords de l’Atlantique. Cette fois le câble était bien plus
résistant, deux fois plus lourd que précédemment, et un seul navire était
capable de transporter l’ensemble de la charge: le Great Eastern. Ce
dernier quitta Valentia en juillet 1865 et mit le cap sur Trinity Bay. On eut
l’impression à deux reprises que quelqu’un avait essayé de saboter le câble en
le transperçant avec un objet pointu pour provoquer un court-circuit.
Finalement, aux trois quarts du voyage vers le Canada, le câble se rompit.
Malgré tout, l’essai avait permis de démontrer que le Great Eastern
pouvait servir à poser un câble de grand fond et, le 13 juillet 1866, l’immense
navire appareilla pour une nouvelle mission. Cette fois, le voyage se déroula
sans encombre. Le 27 juillet, le Great Eastern accosta dans le petit port
canadien de Heart’s Content. Field écrivit plus tard comment les marins avaient
tiré le câble à terre: «Je les revois tirant l’extrémité du câble vers le rivage
à Heart’s Content, le serrant contre eux dans leurs bras musculeux, comme s’il
s’agissait d’un enfant naufragé qu’ils venaient de sauver des eaux menaçantes».
Quatre semaines seulement après, le Great Eastern retourna à Heart’s
Content et offrit un second triomphe à Field. L’extrémité du câble posé en 1865
avait été repêchée du fond de l’océan et raccordée à une nouvelle section pour
créer une autre liaison entre l’Irlande et le Canada. A la fin du XIXe
siècle, 15 câbles télégraphiques transatlantiques avaient été posés — dont cinq
par le Great Eastern.
Question pour notre prochain numéro
Le HMS Agamemnon et le Great Eastern avaient
accueilli à leur bord l’inventeur d’un dispositif essentiel pour la
télégraphie.
On dit que l’idée de son invention germa dans son esprit quand,
faisant tournoyer rêveusement son monocle, il observa les réflexions
de la lumière que le mouvement provoquait. De qui s’agissait-il?
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