Normalisation

Les réseaux IP et les réseaux de la prochaine génération

Jerry Skene

Rapporteur de l'UIT-T* chargé des études sur les passerelles de téléphonie sur Internet (VoIP) et directeur du Département de la normalisation de Tellabs, Inc.

Jerry Skene

(UIT 000012) 

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Nous avons tous conscience de l'impact que l'Internet, par l'intermédiaire du World Wide Web, a désormais sur notre vie professionnelle et notre vie privée. Le présent article a pour objet d'exposer brièvement les conséquences que cette technologie aura vraisemblablement sur les services téléphoniques traditionnels, et le rôle de l'UIT en la matière.

Le courrier électronique (le fameux e-mail) et le Web ont profondément modifié notre monde professionnel et notre monde social: avec le courrier électronique, avec notre navigateur Web favori, nous pouvons avoir avec notre lieu de travail, avec nos clients, avec les membres de notre famille, des contacts beaucoup plus fréquents et beaucoup mieux adaptés dans le temps.

 Pour bon nombre d'entre nous, les achats en ligne ont remplacé l'acquisition physique, concrète, des biens et des services. Un nombre croissant de services traditionnels — il suffira d'évoquer les prêts hypothécaires, les opérations immobilières et les contrats d'assurance — se transforment radicalement sous nos yeux dans le cadre de l'e-business. Les systèmes, comme les flux d'information, sont beaucoup plus efficaces, la comparaison des prix est dix fois plus facile, les prix à la consommation d'un grand nombre de services diminuent.

Mais alors que cette révolution modifie profondément, à de nombreux égards, la vie professionnelle et plus simplement la vie personnelle d'une bonne partie des habitants de la planète, le Web n'a pas encore eu d'incidence notable sur le service téléphonique. Toutefois, ici encore, la situation va évoluer.

Le changement, en l'occurrence, sera à mettre au compte du fameux protocole de téléphonie sur l'Internet (Voice over Internet Protocol — VoIP). Cette norme technique en rapide évolution — évolution dans laquelle l'UIT assume un rôle majeur — permet d'acheminer des appels téléphoniques sur tous les réseaux pour données existants: Internet, réseaux publics ou privés. En effet, le VoIP convertit les signaux vocaux normaux en paquets de données qui sont ensuite transportés et commutés de façon parfaitement efficace comme toutes les autres données déjà acheminées par l'Internet.

A l'époque de ses premiers balbutiements, avant l'élaboration de normes internationales, la technique était un simple objet de curiosité pour les amateurs passionnés. La qualité de la parole était médiocre, il fallait composer avec d'importants phénomènes d'écho, il n'existait pas de méthode normalisée pour trouver l'adresse du demandé, et les deux parties devaient utiliser des ordinateurs personnels spécialement configurés, dotés de logiciels de téléphonie IP identiques. Mais les communications ne coûtaient presque rien, elles étaient d'ailleurs gratuites dans de nombreux cas, et la procédure était donc intéressante pour un petit nombre d'utilisateurs, compte tenu de la tarification des communications longue distance, très élevée à l'époque.

La situation a beaucoup évolué depuis l'apparition, il y a quatre ou cinq ans, des premiers systèmes de téléphonie sur Internet. L'UIT, le Groupe d'étude sur l'ingénierie Internet (IETF) et l'Institut européen des normes de télécommunication (ETSI) ont déployé de nombreux efforts pour résoudre ces questions et un grand nombre d'autres problèmes dans le cadre de l'élaboration de normes mondiales. A l'UIT, plusieurs commissions d'études ont entrepris d'établir des normes relatives au protocole VoIP, et plusieurs questions ont exclusivement pour objet de déboucher sur une normalisation universelle de codeurs vocaux de haute qualité, de l'adressage, des caractéristiques des passerelles vocales, des procédures de gestion des appels et de signalisation, etc. Cet effort de normalisation a pour ainsi dire donné ses lettres de noblesse au VoIP en tant que service parfaitement fonctionnel, de sorte qu'un grand nombre de fournisseurs de logiciels et de fournisseurs de services sont aujourd'hui prêts à répondre à la demande du marché — car demande il y a bel et bien.

Comme on a pu l'observer en effet dans le cas de plusieurs autres techniques de communication, par exemple avec le télécopieur, le modem 56K et le téléphone cellulaire, le marché d'un produit se développe de façon exponentielle dès qu'il existe des normes véritablement universelles. Et si les prévisions établies quant au marché de la téléphonie sur Internet sont exactes, la nouvelle technologie va bientôt avoir une incidence significative sur le marché de la téléphonie traditionnelle.

 Selon NTT, le trafic téléphonique sur Internet s'est chiffré à 240 millions de minutes en 1998 et à 2,5 milliards de minutes (estimation) en 1999, soit un facteur d'accroissement de plus de dix fois. D'après Frost & Sullivan, le trafic téléphonique sur Internet atteindra 2700 milliards de minutes en 2006 et représentera alors 25% de la totalité du trafic téléphonique. Phillips Tarifica Ltd. estime que la téléphonie sur Internet comptera pour 43% du trafic international en 2003.

 Certes, il est toujours difficile de prévoir l'avenir avec précision, mais ces chiffres donnent à penser que les premiers essais de la téléphonie sur Internet relèvent de l'histoire ancienne.

En Chine, par exemple, le ministère de l'Information et de l'Industrie a récemment conféré à la téléphonie sur Internet un statut de service à part entière. Un opérateur a vendu plus d'un million de cartes VoIP à prépaiement au cours de ses premiers mois d'activité, et China Unicom annonce que son réseau VoIP permet d'accéder à plus de 300 villes. Dans le monde, plusieurs opérateurs traditionnels proposent également des offres VoIP complètes, notamment AT&T, MCIWorldCom, NTT et BT.

Plusieurs caractéristiques des réseaux VoIP semblent justifier cet intérêt. La technologie s'inscrit dans ce que l'on appelle les réseaux de la prochaine génération, qui reposent sur une architecture radicalement différente des traditionnels réseaux à commutation de circuits. Certes, l'avantage découlant du différentiel de coût est aujourd'hui beaucoup moins intéressant en raison de la baisse des tarifs longue distance dans la plupart des régions du monde, mais il demeure que, comparée aux réseaux à commutation de circuits, la téléphonie sur Internet se caractérise fondamentalement par des coûts structurels et des coûts de maintenance inférieurs et des délais de commercialisation beaucoup plus courts. La technique VoIP est par ailleurs parfaitement adaptée aux nouvelles offres de service du type «cliquer-parler» (il suffit de cliquer sur un lien pour que le téléphone sonne ou que l'ordinateur personnel soit raccordé automatiquement en mode téléphonie, appelé sur une connexion IP par le fournisseur d'informations ou de biens dont on explore la page Web). D'innombrables nouveaux services sont imaginés tous les jours qui, le plus souvent, sont commercialisés en quelques semaines alors qu'il faut généralement plusieurs années pour proposer un nouveau service dans le réseau téléphonique public commuté (RTPC) traditionnel.

Comme on a pu le constater avec les télécommunications traditionnelles, une infrastructure nationale complète est essentielle pour la croissance économique. Nous avons vu que les nouvelles applications Web peuvent être un élément de croissance de la productivité des entreprises et donner naissance à un type d'économie radicalement nouveau, ce qui s'est produit précisément aux Etats-Unis et, un peu plus tard mais de façon tout aussi évidente, en Europe. Il apparaît que la téléphonie sur Internet et la vaste gamme de nouveaux services susceptibles d'intégrer parfaitement les applications voix et les applications données peuvent être un facteur de croissance économique.

 S'il est vrai qu'en général ce sont les pays les plus développés qui sont les premiers à commercialiser les nouveaux services, les avantages de la téléphonie sur Internet pourraient fort bien être encore plus importants pour les pays en développement, en raison d'une part de la modicité du «coût d'entrée» et d'autre part de la nouveauté de la technologie, en vertu de laquelle la question de la situation privilégiée d'un opérateur établi ne se pose évidemment pas.

Par sa nature et par sa culture, le réseau Internet attire un grand nombre des esprits les plus brillants et les plus créatifs, comme en témoigne la croissance exponentielle des outils et des applications Web. Avec la téléphonie sur Internet, cette même force s'exerce désormais sur le marché mondial de la téléphonie. Les programmeurs informaticiens se spécialisent maintenant en télécommunications — et ils sont nombreux!

La qualité des communications établies via Internet s'est améliorée, au point que, dans de nombreux cas, il est impossible de faire la différence avec un trafic assuré sur le RTPC. Les dispositifs perfectionnés d'annulation d'écho conformes à la Recommandation UIT-T G.168 suppriment les phénomènes d'écho, les codeurs vocaux améliorés définis dans la Recommandation UIT-T H.323 améliorent la qualité des signaux vocaux et les protocoles communs de type H.248, élaborés en collaboration par l'UIT et l'IETF, facilitent l'interopérabilité d'extrémité à extrémité.

Ainsi, la technique expérimentale d'hier s'est muée en un secteur d'activité à part entière, offrant de riches perspectives et de portée mondiale.

Toutefois, il ne faut pas oublier les énormes investissements consacrés aux RTPC traditionnels et non seulement aux commutateurs et à l'infrastructure matérielle, mais aussi aux services et aux fonctions de maintenance et de gestion de cette infrastructure.

Il faudra du temps pour que les réseaux de téléphonie sur Internet atteignent ce niveau de service, s'ils l'atteignent jamais. Mais en contribuant à rapprocher soigneusement les deux systèmes et en élaborant des normes applicables à l'inter-opérabilité et à la qualité du service, l'UIT peut aider tous les habitants de la planète à gagner sur les deux tableaux. 

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