Les TIC au service de l’éducation et du renforcement des ressources
humaines
*«Visions
de la société de l’information», tel est le titre d’une série de
conférences organisées par l’Unité des stratégies et politiques
(SPU) de l’UIT dans le cadre de la deuxième réunion du Comité de
préparation (PrepCom-2) du Sommet mondial sur la société de l’information,
qui a eu lieu en février 2003 à Genève; avec différentes contributions
consacrées à l’incidence et aux conséquences de l’utilisation des
technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les pays
tant développés qu’en développement, elles ont servi de base à des
articles qui en dégagent les grandes «tendances aux niveaux politique et
stratégique». La PrepCom2 a réuni 1586 représentants des services
officiels, du secteur privé, d’organisations non gouvernementales (ONG)
et de la société civile. Le présent article est fondé sur la
communication et la contribution de Frances Cairncross, rédacteur à The
Economist. Pour de plus amples informations, consulter www.itu.int/visions. |
L’éducation est généralement considérée comme l’un des principaux
moteurs du développement économique et du bien-être. Plus la concurrence
devient âpre à l’échelle mondiale et plus l’éducation devient une source
importante d’avantages concurrentiels, intimement liés à la croissance
économique. Elle a par ailleurs une très forte incidence sur l’épanouissement
de tout un chacun.
Dans les pays en développement, de l’éducation dépendent un certain
nombre d’indicateurs sociaux; par exemple l’éducation des femmes influe
directement sur la santé des enfants, et sur la taille de la famille. L’expérience
des pays d’Asie, en particulier ces deux dernières décennies, a démontré
les avantages qui peuvent découler de l’investissement public dans le domaine
de l’éducation. Par ailleurs, plus le niveau de l’enseignement dispensé au
plan national est élevé, et plus les jeunes qui ont un fort potentiel
universitaire sont enclins à poursuivre leurs études dans leur propre pays, ce
qui peut contribuer à mettre fin à «l’exode des cerveaux» dont souffrent
les pays les plus pauvres. Dans les pays riches, l’éducation est considérée
comme importante non seulement au cours des premières années de la vie, mais
également plus tard, en ce sens qu’elle permet à tout un chacun de se
recycler professionnellement et de parfaire ses connaissances tout en s’adaptant
au progrès technologique qui est de plus en plus rapide.
Dispenser en temps opportun un enseignement spécial à des classes d’âge
particulières se heurte à de nombreux obstacles. Les pays en développement
sont fréquemment confrontés à une pénurie de maîtres d’école qualifiés,
particulièrement pour enseigner en milieu rural là où les communautés sont
fortement disséminées; l’argent pour acheter livres et matériels
pédagogiques fait souvent défaut. Dans les pays riches, le manque d’argent
est aussi un problème: en particulier, le coût des études universitaires a
augmenté considérablement et les étudiants doivent de plus en plus en
supporter directement une partie, voire la totalité. Se pose aussi le problème
des heures de cours dans les établissements d’enseignement ou de formation
supérieurs: les étudiants qui doivent travailler à plein temps ont en effet
du mal à suivre les cours qui sont le plus souvent dispensés pendant la
journée. Enfin, les employeurs sont souvent partagés entre le désir d’offrir
à leur personnel une formation continue et la nécessité d’en supporter le
coût en termes de disponibilité, au point qu’ils sont disposés à favoriser
des cours de recyclage plus efficaces et plus souples.
Tous ces facteurs expliquent l’intérêt manifesté pour les TIC, comme
outil d’enseignement et de formation. C’est dans les pays développés qu’on
constate jusqu’ici le plus grand nombre d’applications, les Etats-Unis
étant de loin le pays qui y a consacré le plus d’investissements. Parmi les
pays en développement, la Chine se distingue particulièrement par les efforts
qu’elle déploie afin de mettre les TIC au service de l’enseignement.
Il est tout aussi difficile d’évaluer l’efficacité des TIC en classe
que celle d’autres outils d’enseignement. Toutefois il est indéniable que
les TIC sont un outil potentiellement utile non seulement pour gérer des
établissements d’enseignement, mais aussi pour accéder à du matériel
didactique. Dans les pays en développement, l’enseignement de l’informatique
à l’école primaire peut favoriser les investissements à l’intérieur du
pays lui-même. Par contre, les autorités scolaires insistant de plus en plus,
notamment dans les pays développés, pour que les avantages des TIC soient
mesurés en termes de résultats scolaires, force est de constater qu’il n’est
pas prouvé qu’avec les TIC le niveau des écoliers s’améliore
effectivement: telle est en tout cas la conclusion d’une étude récente.
A l'inverse, s’il est un domaine où les TIC semblent porteuses de
promesses, c’est celui de l’accès à l’enseignement pour tous ceux et
celles qui sans ces technologies seraient littéralement laissés pour compte.
Au niveau des universités en particulier, il est avéré que les TIC ont un
rôle important à jouer: grâce à des TIC bien conçues, les enseignants
peuvent en effet toucher de nouveaux groupes d’étudiants potentiels,
notamment parmi les personnes souhaitant suivre une formation continue ou en
cours d’emploi, les handicapés physiques, les personnes vivant loin de tout
établissement universitaire, les étudiants du troisième cycle, etc. On
observera toutefois que les tentatives faites par des universités de pays
développés pour améliorer leur situation financière grâce au
téléenseignement ont pour la plupart échoué; ainsi, les avantages des TIC
tiennent peutêtre plus à une amélioration de l’accès à l’enseignement
et aussi à un certain nombre d’autres retombées, comme par exemple la mise
à disposition d’outils didactiques de plus en plus évolués.
Dans les pays en développement, les cours par voie électronique peuvent
faire la différence entre un peu et aucune instruction pour les habitants des
zones rurales isolées. Pour les donateurs, il est donc particulièrement
intéressant d’investir dans des systèmes d’enseignement à distance. Là
où les TIC sont les plus rentables c’est lorsqu’elles sont utilisées pour
toucher un très grand nombre de personnes (problème courant dans les pays en
développement), ou lorsqu’elles servent à la recherche, ou encore lorsqu’elles
sont mises à profit par des gestionnaires. Ce serait toutefois une erreur de
penser que la fourniture d’ordinateurs est un investissement ponctuel qui
suffit en soi; en effet, la réalisation de programmes de téléenseignement
suppose une mise de fonds importante pour élaborer les matériels didactiques,
et des coûts récurrents non moins importants pour remplacer matériels et
logiciels.
Quand on vit avec 1 USD par jour, peut-on le dépenser pour passer une
minute sur l’Internet?
Si les avantages de l’accès au savoir et à l’information sont
prouvés, et s’il est admis que l’éducation est un important moteur
de la croissance économique, les obstacles essentiels que doivent
surmonter les sociétés défavorisées n’en restent pas moins le manque
d’infrastructures ainsi que le coût des équipements et l’accès au
réseau et au contenu logiciel. Il y a beaucoup à faire pour les aider à
résoudre les problèmes d’accès, en mettant à leur disposition du
matériel informatique, en assurant la formation d’enseignants et en
leur fournissant un accès Internet bon marché. |
Un pays en développement compte moins d’ordinateurs pour les étudiants qu’un
pays riche, c’est une évidence. Aux Etats-Unis, le nombre d’étudiants par
ordinateur est passé de 125 en 1983 à 5 en 2000, alors qu’au Costa Rica et
au Chili le rapport est respectivement compris entre 53 et 73 et entre 68 et 137
pour un ordinateur.
L’une des différences les plus criantes entre les pays concerne la
disponibilité des équipements. Dans les pays développés, les jeunes
disposent d’un meilleur accès chez eux qu’à l’école. En Suède, par
exemple, une enquête consacrée en 2000 à la classe des 15 ans a montré que
90% d’entre eux utilisaient l’ordinateur chez eux presque tous les jours,
contre 37% seulement à l’école. En Lettonie, par comparaison, 15% seulement
avaient un accès chez eux quasi quotidien, et 5% uniquement à l’école. La
quasi-totalité des universités des pays riches sont aujourd’hui connectées,
alors que dans les pays en développement la proportion est bien moindre (voir
la figure 1), ce qui a une incidence, inévitablement, sur la possible
utilisation des TIC.
L’avantage que l’on tire
des TIC dépend de plusieurs variables, en particulier de la conception des
logiciels et des matériels, du niveau de formation et de l’attitude des
instructeurs et de la prise en compte des besoins propres à chaque étudiant.
Il faut aussi vouloir expérimenter; en effet, pour utiliser efficacement les
TIC dans les domaines de l’enseignement et de la formation, il faut recourir
à des méthodes pédagogiques très différentes de celles que requiert un
enseignement classique en classe, méthodes qui prendront probablement du temps
à mettre au point et à diffuser.
La constatation peut-être la plus importante est que les solutions qui
marchent dans un pays jouissant d’un taux d’accès à l’ordinateur élevé
et de coûts téléphoniques faibles ne seront pas nécessairement transposables
à un pays comptant peu d’ordinateurs et handicapé par des taxes de
raccordement élevées. La possibilité de mettre les TIC au service de l’éducation
et de la valorisation du capital humain dépend d’un certain nombre de
facteurs qui diffèrent d’un pays à l’autre, notamment entre les pays
développés et les pays en développement. Il convient que les pays n’ignorent
pas ces différences au moment de réaliser des investissements.
La nature de la société de l’information: une perspective pour les pays
en développement
Il y a deux façons de considérer les TIC, comme un outil ou comme
une industrie. En tant qu’outil, des TIC bon marché et faciles à utiliser
peuvent de fait transformer la façon dont nos sociétés travaillent, se
divertissent, étudient, gouvernent et vivent, et ce à tous les niveaux:
individuel, organisationnel, sectoriel, professionnel et national. En tant qu’industrie,
les TIC constituent un secteur économique important, et en pleine croissance,
recouvrant matériels, logiciels, télécommunications/transmission de données
et services de consultance.
Tableau 1 — Les «huit C» de la société de l’information
|
|
Les TIC en tant qu’outil |
Les TIC en tant qu’industrie |
Connectivité |
Dans quelle
mesure les TIC (par exemple, PC, accès à l’Internet, logiciels)
sont-elles bon marché et répandues pour l’homme de la rue? |
Le pays
possède-t-il des industries de production des TIC pour le matériel, les
logiciels, la transmission de données et les services? |
Contenu |
Existe-t-il des contenus
(étrangers ou locaux) que les citoyens peuvent utiliser dans leur vie de
tous les jours? |
Des contenus sont-ils créés dans
les différentes langues du pays et sont-ils accessibles via des
interfaces localisées? Y a-t-on accès et sont-ils utilisés à l’étranger? |
Communauté |
Existe-t-il des
forums en ligne/hors ligne, où les citoyens peuvent discuter des TIC et d’autres
questions les préoccupant? |
Le pays est-il un
centre de discussions et de forums pour l’industrie mondiale des TIC? |
Commerce |
Existe-t-il une infrastructure
(technique, juridique) de cybercommerce pour les citoyens, les entreprises
et les services officiels? Quelle est la part du commerce qui se fait par
transactions électroniques? |
Le pays possède-t-il des
technologies et des services de cybercommerce autochtones? Sont-ils
exportés? |
Capacité |
Les citoyens et
les organisations disposent-ils des capacités (techniques,
managérielles, politiques et juridiques) en ressources humaines pour
exploiter efficacement au quotidien les TIC. |
Le pays
possède-t-il les capacités (techniques, managérielles, politiques et
juridiques) en ressources humaines pour créer et exporter des TIC? |
Culture |
Existe-t-il une culture ouverte et
progressiste au niveau des décideurs, des entrepreneurs, des éducateurs,
des citoyens et des médias pour ouvrir l’accès aux TIC et les mettre
au service de tous? Ou bien les conséquences culturelles et politiques
des TIC suscitent-elles craintes et rejet? |
Existe-t-il des techniciens, des
entrepreneurs et des gestionnaires suffisamment proactifs et volontaires
pour créer des entreprises locales et leur donner une dimension mondiale? |
Coopération |
La coopération
est-elle suffisante entre les citoyens, les entreprises, les
établissements d’enseignement, les ONG et les centres décisionnels
pour créer un climat propice à l’utilisation des TIC? |
Dans le pays, l’environnement
réglementaire est-il propice à la création d’entreprises de TIC et à
l’établissement de liens avec la population émigrée? |
Capital |
Les ressources financières
sont-elles suffisantes pour investir dans l’infrastructure des TIC et
dans le téléenseignement? |
Existe-t-il une industrie nationale
à capital-risque? Investit-elle également à l’étranger? Quel est le
nombre des acteurs internationaux présents sur le marché local des
actions? Les places boursières pratiquent-elles les émissions publiques? |
Dans l’un et l’autre cas, les pays en développement sont en retard par
rapport aux pays développés, mais des typologies d’évolution intéressantes
et des poches d’excellence apparaissent. Par exemple, des pays comme l’Inde
et les Philippines possèdent des industries TIC qui exportent des logiciels et
attirent des marchés d’externalisation, le tout à côté de fractures
numériques saisissantes où les TIC ne sont ni accessibles ni d’un prix
abordable en tant qu’outil pour le plus grand nombre.
Analyser l’incidence et le potentiel des TIC par secteur économique est le
premier pas à faire pour réduire la fracture entre pays en développement et
pays développés; toutefois, cela ne suffit pas, car il manque un élément
essentiel: tout comme l’Internet, les TIC ne sauraient être réduites à la
seule fonction numérique des télécommunications, ou à une branche de l’informatique
ou encore à un secteur des médias. De nombreux projets de TIC, au départ bien
intentionnés, n’ont pas rencontré dans des pays en développement le succès
qui aurait pu être le leur parce qu’ils étaient axés uniquement sur la
technologie ou encore parce qu’ils se sont limités uniquement à l’installation
d’ordinateurs. La société de l’information, ce n’est pas simplement une
question de connectivité à l’infrastructure mondiale de l’information; la
société de l’information c’est aussi et surtout le contenu qui est
accessible, les communautés qui dialoguent en ligne ou hors ligne, les
attitudes culturelles anciennes ou nouvelles, les motivations commerciales et
autres raisons qui stimulent l’activité de ce domaine, l’esprit de
coopération et la volonté d’une formation continue, enfin la capacité de
créer et de gérer les nouveaux espaces d’information. La société de l’information
ne se résume pas simplement à l’utilisation passive de technologies du
dernier cri, mais c’est surtout créer et mettre en place l’infrastructure
technique qui permet l’échange des informations et la fourniture des
services. C’est pourquoi il faut disposer d’un cadre plus parlant qui puisse
contextualiser, par rapport aux différents attributs évoqués, la diffusion, l’utilisation
et la création des TIC.
Associée à ces deux aspects des TIC que sont l’utilisation et la
création, la méthode des “huit C” (voir le tableau 1) peut aider à
démystifier certains des grands problèmes auxquels se heurte la mise en œuvre
des conceptions des sociétés du savoir, comme par exemple favoriser la
diffusion et l’adoption des TIC, élaborer des projets pilotes, garantir la
durabilité et la viabilité des projets TIC, créer des industries TIC et
analyser systématiquement les travaux de recherche consacrés à la société
mondiale de l’information. Il convient de souligner le rôle que doivent jouer
les acteurs locaux, les organisations multilatérales, les institutions
donatrices et la communauté des partenaires de développement.
L’article ci-dessus se fonde
sur une présentation et un document de Madanmohan Rao (Inde), consultant
et auteur spécialiste des TIC. Dans son document M. Rao illustre les
aspects, en tant qu’industrie et qu’outil, des TIC dans les pays en
développement, à l’aide d’un cadre comparatif qu’il a élaboré au
fil des ans, appelé les “huit C” de l’économie numérique, à
savoir: connectivité, contenu, communauté, commerce, culture, capacité,
coopération et capital. Ce cadre est brièvement décrit ci-dessus; pour
plus d’informations consulter www.itu.int/visions. |
Pour obtenir plus de
renseignements sur les
«Grandes tendances des politiques et stratégies»,
veuillez vous mettre en rapport avec
l’Unité des stratégies et politiques,
Union internationale des télécommunications,
Place des Nations,
CH-1211 Genève 20 (Suisse),
Fax: +41 22 730 6453,
e-mail: spumail@itu.int.
Site web: www.itu.int/osg/spu/ |
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