Discours de Dr Hamadoun I. Touré, Secrétaire général de l'UIT

Célébration de la journée de l'Afrique 2009
Genève, Suisse
27 Mai 2009

Les TIC en Afrique : Défis et Perspectives de Développement

Chers collègues,
Mesdames, messieurs,

Je suis extrêmement heureux de célébrer ici avec vous aujourd'hui la Journée de l'Afrique 2009. C'est simplement formidable d'être entouré de vieux amis et de nouveaux collègues et de pouvoir partager ce moment.

En tant qu'Africain, je suis particulièrement fier et heureux chaque année, autour du 25 mai, de me remémorer les efforts importants déployés en 1963 pour créer l'Union africaine sur tout le continent et de célébrer la création de l'Organisation de l'Unité africaine, devenue Union africaine en 2002.

Cet après-midi, je vais vous parler brièvement de ma vision des TIC en Afrique et des défis et perspectives de développement que sont les nôtres.

Avant de me tourner vers l'avenir, toutefois, je voudrais revenir à la dernière décennie et aux résultats déjà obtenus.

Il y a 13 ans, en 1996, lors de la deuxième Conférence régionale africaine de développement des télécommunications, tenue à Abidjan, l'UIT a publié un document important intitulé "Livre vert africain: Politiques de télécommunication pour l'Afrique".

Qui alors aurait pu imaginer de tels résultats en si peu de temps?

Je me souviens bien de Thabo Mbeki, alors Vice-Président de la République sudafricaine, quand il nous mettait au défi, en 1998, d'installer 50 millions de lignes téléphoniques en Afrique en cinq ans. Beaucoup ont douté, puisqu'il n'y avait alors qu'à peine 20 millions de lignes pour desservir - mal desservir plutôt - la totalité du continent africain.

Pourtant, cinq ans plus tard, en 2003, il était prouvé que les sceptiques avaient eu tort et l'Afrique comptait en fait plus de 50 millions de lignes nouvelles et pouvait se targuer de 78 millions d'abonnés au téléphone fixe ou mobile.

Mais ce n'était rien comparé à ce qui s'est produit depuis lors, puisque fin 2008 le nombre de lignes téléphoniques fixes et d'abonnés au téléphone mobile dans les 53 pays de l'Union africaine avait presque atteint le chiffre impressionnant de 400 millions.

En fait, pour la seule année 2008, plus de 80 millions de nouveaux abonnés au mobile cellulaire sont venus s'ajouter au réseau des pays de l'Union africaine!

En 1999, le taux de pénétration téléphonique avoisinait les 1% dans la plupart des pays de l'Afrique sub-saharienne, soit à peine une ligne pour 100 habitants. Désormais, surtout en raison de l'avènement des technologies cellulaires à bas coût, le taux de pénétration dans cette région dépasse 25%.

Mon pays d'origine, le Mali, est un très bel exemple des progrès accomplis. En 2002, quatre Maliens seulement sur 1 000 avaient un téléphone mobile. Début 2009, ils étaient un sur quatre, soit 70 fois plus.

Mis en perspective, cela signifie que le Mali a vu son marché du mobile croître cinq fois plus vite durant les premières années de la décennie que la Finlande dans les années 90 et que, en 2008, le Mali avait une télédensité mobile supérieure à celle de la France dix ans auparavant.

Cette croissance incroyable a été mue par un esprit de collaboration africaine mis en œuvre pour mener à bien la réforme du secteur et au fait que les dirigeants africains ont suivi les politiques approuvées par les experts africains et les ministres africains dans le fameux Livre vert.

Le secret de cette croissance inouïe a été l'octroi de licences à de multiples opérateurs cellulaires, ainsi que les remarquables innovations dans le domaine des services comme des applications sur tout le continent africain.

Mes chers amis,

Les TIC sont devenues le grand activateur de la société moderne, puisqu'elles aident les gens à communiquer à distance et, malgré les fossés culturels, facilitent les échanges commerciaux et donnent accès à des ressources critiques, comme les soins de santé ou l'éducation.

En Afrique, les TIC ne changent pas seulement la manière dont les gens travaillent et communiquent avec leurs amis et leur famille, mais aussi la manière dont ils vivent, pensent et agissent.

En conséquence, les réseaux TIC sont devenus au moins aussi critiques pour le développement socio‑économique que les réseaux plus traditionnels de transport, d'électricité ou d'eau.

L'Afrique a fait d'énormes progrès en mettant ses habitants en ligne: plus de 60 millions de personnes utilisent désormais l'Internet dans toute l'Union africaine.

Mais avec près de un milliard de personnes à desservir, on est encore loin du compte.

Avec le développement de l'Internet, les taux de croissance et les débits d'accès sont encore très loin d'être suffisamment rapides.

Dans un monde où le large bande prend de plus en plus de place, la plupart des utilisateurs d'Afrique doivent encore utiliser des liaisons téléphoniques pour accéder à l'information. Cela signifie qu'ils sont déjà exclus de l'expérience en ligne totale. S'ils ne bénéficient pas très bientôt d'un accès plus rapide, ils risquent d'être très vite exclus de la société de l'information tout entière.

Cruelle ironie également, c'est sur le continent africain que l'accès à l'Internet coûte le plus cher dans le monde. Dans de nombreux pays de ce continent en effet, le coût d'un abonnement mensuel au large bande est souvent supérieur à 100% du revenu mensuel national brut par habitant.

Nous devons donc passer à la vitesse supérieure et faire en sorte que tous les Africains puissent accéder à l'Internet à large bande facilement et à moindre coût.
Faute d'une telle audace, nous assisterons à l'apparition rapide d'une nouvelle fracture numérique dévastatrice.

Après la libéralisation du secteur des télécommunications dans sa totalité, qui s'est révélée un immense succès pour les Africains lambda de tout le continent, nous devons maintenant mettre en œuvre activement une deuxième vague de réformes, dans le secteur des services.

Cette nouvelle réforme doit tenir compte de la convergence entre réseaux, services et fournisseurs de services ainsi que de la convergence parallèle entre les cadres institutionnels aux niveaux de la politique et de la réglementation.

Chers collègues,

Naturellement, aucun gouvernement n'a le pouvoir de concrétiser seul toutes ses ambitions en matière de développement - si bien que travailler en liaison plus étroite avec le secteur privé sera critique pour le déploiement des infrastructures et l'accroissement de l'accès en Afrique.

C'est pourquoi, en 2007, nous avons imaginé le Sommet Connecter l'Afrique de l'UIT à Kigali, Sommet coorganisé, avec grand succès, avec la Commission de l'Union africaine.

Plus de 1 000 délégués de haut niveau ont participé au Sommet, qui a permis de réunir plus de 55 milliards USD - montant sans précédent - en engagements à investir dans la connectivité intrarégionale.

De façon plus significative, l'initiative a engendré des engagements à interconnecter toutes les capitales et les grandes villes d'Afrique avec une infrastructure TIC large bande d'ici à 2012 - et d'étendre les services large bande et TIC à tous les villages d'Afrique d'ici à 2015.

Cette forme d'intégration régionale est, à mon sens, absolument cruciale pour l'avenir de l'Afrique - et en fait pour l'avenir de l'Unité africaine.

Nous avons aussi besoin de créer un cadre pour sécuriser le cyberespace africain - pas seulement pour que les Africains puissent utiliser l'Internet en toute sécurité, mais aussi pour que l'on puisse lutter avec succès contre la cyberdélinquance venant d'Afrique.

Le Sommet Connecter l'Afrique a eu lieu il y a deux ans en réaction directe à mon appel à un Plan Marshall numérique pour connecter l'Afrique.

Aussi a-t-il été très intéressant, le mois dernier, à Lisbonne, pendant le Forum mondial des politiques de télécommunication, d'entendre les orateurs réitérer la nécessité d'un Plan Marshall numérique, pour que les TIC envahissent toute la planète jusque dans ses recoins.

Pour terminer, par conséquent, je voudrais vous adresser une demande audacieuse: si nous profitions de l'occasion parfaite que représente le Sommet de l'Union africaine de janvier 2010 pour établir un nouveau cadre qui permettra à l'Afrique d'étendre les avantages des TIC à tout notre merveilleux continent.

Soyons ambitieux, comme l'a été le Plan Marshall.

Créons un environnement où les entreprises puissent se développer, où l'infrastructure large bande et haut débit puisse être mise en place rapidement, où l'accès aux services soit financièrement abordable pour tous et où nos peuples aient les compétences nécessaires pour utiliser ces nouveaux outils et réseaux en toute confiance.

En tant qu'Africains, construisons tous ensemble un avenir brillant pour l'Afrique.

Merci.