Paris, le 4 septembre 1996

Cinquième symposium du Conseil Satel
4-6 septembre 1996, Paris

Cérémonie d'ouverture

Allocution de M. Pekka Tarjanne
Secrétaire général de l'UIT

Mesdames et Messieurs,

Quand je pense au thème de ce symposium - établir les besoins de télécommunication à l'aube du XXIe siècle, la première chose qui me vient à l'esprit est que tout doit être mis en oeuvre pour que tout le monde ait accès au moins aux services de télécommunication de base: cet objectif est en fait celui qu'en 1984 fixait la Commission Maitland à l'UIT et il reste aujourd'hui notre objectif prioritaire à la veille du nouveau millénaire.

Depuis cette date, nous avons fait déjà un bon bout de chemin: dans un certain nombre de pays l'accès de tous au service téléphonique de base au moins est une réalité, depuis quelque temps déjà, et des régions entières, en particulier l'Europe de l'Est, l'Amérique latine et l'Asie­Pacifique, se rapprochent lentement mais sûrement de cet objectif. Toutefois, aujourd'hui, alors qu'il nous reste juste un peu plus de trois années avant la date fixée pour l'universalité de l'accès, nous en sommes encore au point où entre la moitié et les deux tiers de la population mondiale n'a jamais utilisé un téléphone.

Certes, le téléphone n'est pas le seul outil important de télécommunication sur Terre. Aujourd'hui, on compte peut-être deux fois plus de téléviseurs dans le monde que de téléphones et leur distribution est beaucoup plus égale entre pays développés et pays en développement; or, grâce à la technologie, la télévision va pouvoir devenir un moyen interactif, bidirectionnel, et c'est là une possibilité qu'il ne faudrait pas oublier. Le téléphone et la télévision sont cependant des moyens de communication limités, dans leurs possibilités, par rapport à l'ordinateur ou à des réseaux comme Internet, auxquels seule une infime partie de la population mondiale a actuellement accès.

Ces constatations nous montrent qu'il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir parler sérieusement de "l'infrastructure mondiale de l'information" et d'être pris au sérieux lorsqu'on évoque la "société mondiale de l'information" du XXIe siècle.

Ne soyons toutefois pas trop durs avec nous-mêmes.

Le deuxième objet de ce symposium est de déterminer les techniques et ressources nécessaires pour satisfaire les besoins de télécommunication de la population mondiale et de mettre en lumière le rôle des satellites à cette fin. Dans ce domaine, les nouvelles sont assurément bonnes. Nous sommes en effet à l'aube d'une révolution des télécommunications par satellite, révolution qui a le potentiel de faire du rêve de l'universalité une réalité au XXIe siècle - universalité de l'accès non pas seulement aux services téléphoniques et électroniques de base, mais également à toute une gamme de services multimédias à large bande.

Les nouveaux systèmes à satellites en question sont bien connus par leurs acronymes. Aujourd'hui, certains, appelés "mini LEO", sont déjà en exploitation, assurant des services de surveillance, de radiorecherche et de transmission de données à faible débit. Au cours des trois à cinq prochaines années, ils seront rejoints par des constellations de systèmes de plus grande taille, appelés "super LEO", MEO et HEO, et la gamme des services disponibles s'étendra à la téléphonie, à la télécopie et à la transmission de données à grande vitesse. A l'horizon de cinq à dix ans, des systèmes à satellites, fixes et mobiles, de la prochaine génération, comme les "méga LEO", fourniront des services à large bande ainsi que des services équivalant à ceux proposés aujourd'hui "sur Terre" par Internet. Ces systèmes ne doivent pas nous faire oublier les systèmes à satellites internationaux et régionaux qui sont en orbite aujourd'hui et qui offrent déjà un grand nombre de ces services.

Peut-on en conclure pour autant que rien ne nous empêchera d'atteindre l'objectif de l'universalité de l'accès, sinon le 1er janvier 2000, du moins pas trop longtemps après cette date? Je souhaiterais pouvoir répondre à cette question par l'affirmative, mais, malheureusement, je ne le puis.

Il est indéniable que nous disposons déjà, ou disposerons bientôt, des techniques nous permettant de réaliser notre objectif d'universalité, mais le problème concerne leurs modalités de mise en oeuvre. En effet, contrairement aux systèmes à satellites internationaux d'hier, ces nouveaux "systèmes à satellites mondiaux" sont pour la plupart des systèmes privés. Au lieu d'être régis par des accords internationaux conclus entre États, ils seront réglementés par chacun des pays auxquels une licence d'exploitation aura été octroyée et auxquels leurs services seront fournis. Les opérateurs des systèmes à satellites mondiaux de la nouvelle génération ne vendront plus de la capacité "en gros" qu'ils sous-traiteront à des détaillants, mais vendront directement leurs services aux utilisateurs finals, qui souhaiteront pouvoir y accéder à l'aide de petits terminaux portables ou facilement transportables, indépendamment du lieu où ils se trouveront et sans avoir à obtenir une autorisation ou à payer des droits de douane chaque fois qu'ils franchiront une frontière.

Trouver une solution aux problèmes politiques et réglementaires auxquels se heurte la mise en oeuvre des systèmes à satellites mondiaux constitue un défi majeur pour l'UIT, ainsi que pour son organisation soeur, l'OMC. Les systèmes mobiles mondiaux de communications personnelles par satellite, ou GMPCS, seront le sujet de notre tout premier Forum mondial des politiques de télécommunication, qui se tiendra à Genève du 21 au 23 octobre prochains. Pendant ces trois jours, nous espérons que les États Membres et les membres représentant le secteur privé de l'UIT parviendront à se mettre d'accord sur un train de mesures communes propres à faciliter la fourniture, dès que possible, de services mondiaux par satellite, pour le bien de l'humanité tout entière. J'espère que vous participerez tous à ce Forum qui promet d'être une rencontre des plus intéressantes.

Mais, même si les obstacles réglementaires auxquels se heurte la mise en oeuvre de systèmes mondiaux par satellite peuvent être démantelés, d'autres problèmes continueront de se poser assurément. Les pays en développement pourront-ils se payer les services qu'offriront ces systèmes? Ou le rêve de l'universalité restera­t­il irréalisable pour la majorité de la population du monde? Quelles seront les conséquences de ces services sur l'industrie des télécommunications? Ces systèmes sont-ils complémentaires des réseaux de Terre, comme l'affirment leurs opérateurs? Ou bien, seront-ils eux aussi livrés à l'appétit du marché des télécommunications qui est de plus en plus concurrentiel? Et quelle sera l'incidence des services par satellite à large bande de la prochaine génération sur les structures économiques, sociales, culturelles et politiques? Vont­ils nous conduire tous au "village planétaire"? Ou vont-ils au contraire exacerber les différences qui opposent les peuples de la Terre?

Quand nous pensons à demain et évoquons les merveilles de la technologie, nous ne devrions pas oublier de nous poser ces questions, fondamentales pour l'humanité, soit aujourd'hui même ou demain, au cours du présent symposium, ou lorsque nous aurons repris nos activités quotidiennes. Nous avons tous une lourde responsabilité. Nous devons oeuvrer avec sagesse et discernement, dans l'intérêt de l'humanité tout entière.