17 mai 2001 - Journée mondiale des télécommunications
L'Internet: enjeux, opportunités et perspectives

  
 
 
L'INTERNET ET LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE

Mis à part le pilotage d'une F1 ou le saut à l'élastique, il n'y a sans doute rien de plus risqué que de vouloir prédire l'avenir des échanges commerciaux sur l'Internet. La récente série de faillites enregistrée parmi les "point.com", et notamment l'échec de certaines entreprises déjà célèbres, comme eToys, boo.com et pets.com, amène les spécialistes à revoir leurs prévisions en matière de commerce électronique. Mais il serait difficile de nier que la révolution suscitée par l'Internet a entraîné une remise en question fondamentale des stratégies de planification économique dans tous les conseils d'administration: aucune grande entreprise ne se conçoit aujourd'hui sans un site web, constitué à sa gloire, et pour assurer la promotion de ses produits. Et même pour les petites entreprises, un minimum de présence en ligne est désormais capital.

Les frontières de la révolution de l'Internet ne sont pas définies par la seule Silicon Valley. Considérons par exemple la "Câmara dos Dirigentes Lojistas de Belo Horizonte" (CDL/BH), association de commerçants et d'exportateurs de la ville brésilienne de Belo Horizonte, située à 300 km de Rio de Janeiro vers l'intérieur du pays. Initialement fondée en 1960 à des fins d'échanges d'informations, entre commerçants locaux, sur les achats effectués à crédit par les clients, cette association a désormais franchi le pas du cybercommerce. Avec l'assistance fournie dans le cadre du projet "Le commerce électronique pour les pays en développement" (EC-DC) de l'Union internationale des télécommunications, ses 10 000 membres ont décidé de créer un service d'échanges d'entreprise à entreprise (business-to-business (B2B)). En cliquant sur le site web CDL/BH, un client peut désormais faire ses paiements par voie électronique, consulter les pages commerciales de l'association pour s'informer sur telle ou telle entreprise locale, prendre connaissance des divers services proposés par l'association - télémarketing, transferts de fonds électroniques, etc., ou même se documenter sur la procédure à suivre pour réserver des locaux dans le Centre de conférences de la ville.

Mais à côté du succès rencontré par les entreprises qui, à l'instar de CDL/BH, décident d'opérer en ligne, il faut bien reconnaître que l'expansion du commerce électronique, comme celle de l'Internet lui-même, est encore essentiellement un phénomène spécifique des pays riches. En 1999, les Etats-Unis comptaient plus de 70% des sites web commerciaux du monde, et les propriétaires de ces sites ont récolté plus de 90% des recettes du commerce électronique générées dans l'ensemble de la planète. En revanche, en Amérique latine et dans la région Asie-Pacifique, les recettes produites par le commerce électronique ne représentaient qu'un peu plus de 2% du total cette même année.

Ce type de disparité apparaît de façon très nette dans la région Asie-Pacifique. Selon une enquête récemment réalisée par la société d'études de marché eMarketer, en 2000, la part de la région dans le commerce électronique est passée à 13,8% du total des opérations effectuées en ligne dans le monde. Toutefois, près de 70% de ces échanges concernaient essentiellement le Japon. La Chine et l'Inde, les deux nations les plus peuplées du monde, ne représentent qu'une infime fraction de l'ensemble des échanges de commerce électronique réalisés dans la région.

Et même dans les pays où le commerce électronique se développe, les échanges se font plutôt entre le Nord et le Sud qu'entre pays en développement à proprement parler. Certes, toujours selon eMarketer, le commerce électronique en Amérique latine franchira la barre des 15 milliards de dollars EU en 2003, mais il faut noter que près de 75% des achats effectués actuellement en ligne dans la région passent par des sites Internet établis aux Etats-Unis.

Dans les pays en développement, une partie du problème, pour les entreprises, tient au coût d'"installation" d'une plate-forme de commerce électronique sur l'Internet. L'UIT note que le coût moyen, pour l'entreprise, est d'environ 250 000 dollars EU, et que, dans le cas d'une grande entreprise internationale, on peut s'attendre à une facture comprise entre 500 000 et 2 millions de dollars EU. Il faut ajouter aussi le coût de l'accès à l'Internet. Les fournisseurs de services Internet des pays en développement doivent assumer aussi bien le coût des circuits que les coûts de trafic pour se raccorder à un point de présence du réseau dorsal Internet (en général aux Etats-Unis), ce qui rend le service plus onéreux pour les utilisateurs finals. Dans les pays en développement, les usagers doivent par ailleurs surmonter d'autres obstacles: coût élevé des matériels et logiciels Internet, redevances de fourniture d'accès Internet et de service téléphonique, pénurie d'éléments d'infrastructure, notamment de lignes téléphoniques.

Ironie de la situation, le coût du raccordement à l'Internet est beaucoup plus élevé, relativement, dans les pays en développement que dans les pays avancés. Si aux Etats-Unis un "col blanc" moyen peut aisément faire l'acquisition de trois ordinateurs avec sa rémunération mensuelle, en Tanzanie par exemple, un ordinateur coûte trois fois le salaire mensuel moyen d'un cadre. Dans les pays classés dans la catégorie "revenu moyen inférieur", le coût d'un ordinateur personnel représente 289% du PIB par habitant, alors que la moyenne mondiale est de 28%. Dans les pays à revenus élevés, un ordinateur ne coûte que 5% du PIB par habitant! Il faut compter ensuite avec le coût de l'accès au réseau Internet proprement dit. Les utilisateurs de la toile étant peu nombreux dans les pays en développement, les prestataires de service Internet doivent fixer des prix élevés pour couvrir leurs coûts, sans parler de bénéfices éventuels. Ainsi, alors qu'un compte America Online aux Etats-Unis peut s'obtenir pour 22 dollars par mois - soit moins de 1% du revenu mensuel moyen dans ce pays - un compte Africa Online au Ghana coûte environ 50 dollars EU par mois, soit près de deux fois le salaire mensuel de la plupart des citoyens de ce pays.

En outre, dans les pays en développement, les opérateurs sont souvent soumis aux pressions que l'on observe actuellement dans le monde en faveur d'un "rééquilibrage" des tarifs téléphoniques, ou encore sont contraints de relever la tarification des communications locales pour compenser la diminution des recettes générées par le trafic longue distance et le trafic international, réduction consécutive à la baisse des taxes de répartition. C'est dire qu'un utilisateur qui accède à l'Internet en mode automatique local est obligé de limiter le temps d'occupation de sa ligne pour ne pas recevoir des factures téléphoniques astronomiques. Et pour ce qui est de la connexion au réseau dorsal Internet, les pays en développement doivent en général effectuer des versements en faveur des Etats-Unis, où sont établis la plupart des fournisseurs d'infrastructure dorsale.

Par ailleurs, alors que le système de règlement traditionnel repose sur le concept de "demi-circuit" (à chaque extrémité d'une liaison entre deux pays, un opérateur fournit, et paie, un demi-circuit), dans le modèle utilisé pour les correspondants Internet, c'est l'opérateur du pays étranger qui normalement paie les deux demi-circuits (c'est-à-dire les circuits complets) établis avec les Etats-Unis. Pour les opérateurs des pays en développement, cette situation se traduit par deux règlements - le premier concernant le circuit, le second le trafic - alors que le trafic s'écoule dans les deux sens. S'il est vrai que ces coûts peuvent être recouvrés auprès des clients des prestataires de service Internet, le résultat net du système est que le service Internet est plus onéreux pour les consommateurs des pays en développement. Pour toutes ces raisons, les acheteurs et les vendeurs, dans ces pays, éprouvent des difficultés parfois insurmontables à accéder à la toile et à utiliser le marché électronique.

Toutefois, en mettant leurs ressources en commun, les pays en développement peuvent s'accommoder des conséquences négatives du prix très élevé des connexions Internet. L'UIT participe à cet égard à un certain nombre de projets visant à faire bénéficier le monde en développement des avantages du commerce électronique. Ainsi, le projet EC-DC permet à des entreprises de pays en développement d'accéder à des portails de commerce électronique sécurisé par l'intermédiaire de banques locales et de centres de commerce international, de sorte que ces entreprises ont la possibilité de profiter de systèmes d'authentification numérique et de paiement électronique sécurisé qu'elles ne pourraient pas mettre en place elles-mêmes, faute de moyens techniques ou financiers.

Par ailleurs, dans le monde en développement, l'offre de services bancaires n'est pas toujours très fournie et l'infrastructure des réseaux de services financiers qui jouent le rôle essentiel d'intermédiaires entre les vendeurs et les acheteurs (banques, sociétés de carte de crédit et autres institutions financières) est rarement raccordée à l'infrastructure de communication et de traitement des données du web, sur laquelle reposent la quasi-totalité des opérations commerciales. Pour de nombreux pays en développement, la toile est pourtant le seul moyen d'accès rentable au commerce électronique. Avec ce projet, en collaboration avec ses partenaires du secteur privé, l'UIT a entrepris de contribuer au déploiement d'une infrastructure se prêtant au commerce électronique dans plus de 100 pays.

En Afrique, l'UIT, avec l'aide du Gouvernement du Japon, a entrepris de fournir une assistance technique et financière à l'Association pour le Soutien et l'Appui à la Femme Entrepreneur (ASAFE), établie au Cameroun. L'ASAFE, qui regroupe 3 500 femmes entrepreneurs de divers pays d'Afrique occidentale, propose des programmes de formation et de recherche et une aide au financement dans le cadre du programme Femme Epargne Crédit.

Le projet de l'UIT aidera l'ASAFE à mettre en place une infrastructure de commerce électronique qui sera exploitée par l'association pour le compte de ses membres. L'une des bénéficiaires de ce programme sera peut-être Raphaëlle Assiga, membre de l'ASAFE, qui tient une petite galerie commerciale - "Ralph Creation" - dans la ville de Douala, au Cameroun. Ralph Creation propose des sandales, des colliers, des chaises et des bijoux de fantaisie réalisés à partir de matières premières locales par Mme Assiga et deux autres personnes. La plupart de ces produits de l'artisanat local sont vendus aux touristes de passage, mais le nouveau service de commerce électronique proposé par l'ASAFE - qui devrait être disponible dès cette année - permettra peut-être à Mme Assiga de développer ses activités sur d'autres marchés et de toucher une clientèle jusqu'ici inatteignable.

En Asie, l'UIT a participé à la mise en place du portail de commerce électronique du Viet Nam, dans le cadre d'un projet entrepris en collaboration avec les pouvoirs publics et d'une association avec le World Trade Centre de Genève et la société World Internet Secure Key (WISeKey) SA, et consistant à mettre en place un réseau de commerce électronique international pour les pays en développement. Ce nouveau portail permet aux utilisateurs d'accéder aux dernières informations commerciales en provenance du Viet Nam, ainsi qu'à divers documents juridiques, à de multiples données sur les entreprises et l'économie du pays et enfin des informations détaillées sur les tarifs d'importation et d'exportation. Avec ce portail, les entreprises vietnamiennes peuvent aussi s'informer sur les possibilités de commerce électronique dans le monde par l'intermédiaire du Centre pour le développement des pôles commerciaux de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), service particulièrement utile aux petites et moyennes entreprises recherchant des acheteurs et des vendeurs à l'étranger.

Certes, ces projets sont relativement modestes. Les pouvoirs publics et le secteur privé ont encore beaucoup à faire pour que les avantages procurés par le réseau Internet soient largement répartis et que les promesses du commerce électronique au niveau du développement des échanges et du développement lui-même se concrétisent. Au reste, le principal obstacle à l'élargissement de l'accès au réseau Internet dans les pays en développement est peut-être un excès de confiance: après tout, l'Internet n'a pas eu besoin des pouvoirs publics pour se développer, et la "fracture numérique" finira bien par se réduire toute seule.

Mais tout espoir n'est pas interdit (se reporter au graphique). Un nombre croissant de pays en développement ont entrepris de mettre en place de nouvelles infrastructures pour se connecter au marché électronique mondial, ce qui leur permet, en fait, de réaliser ce fameux "bond technologique" et de remplacer directement des réseaux anciens par les toutes dernières technologies, ou encore de tirer parti des techniques les plus rentables pour accroître la couverture de leur réseau au-delà de la capitale nationale afin de connecter les régions rurales et les régions mal desservies. La Chine, par exemple, va dépenser 24 milliards de dollars d'ici 2005 pour développer son infrastructure large bande. Il n'est pas du tout exclu que, dans ces pays, les entrepreneurs, les esprits novateurs, montrent la voie à Silicon Valley en provoquant de nouveau une révolution des "point.com".

On pourra lire également A quoi tient la spécificité de l'Internet et Internet for Development: Challenges to the network, 1999, disponible en anglais seulement.


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