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L’OMC et l’économie mondiale «câblée»

Renato Ruggiero
Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce

Nous vivons aujourd’hui à l’ère de l’information. En d’autres temps, les matières premières — charbon, pétrole et minerai de fer — étaient les moteurs de l’expansion écono-mique. Bien que ces produits de base soient encore importants, il ne fait aucun doute que la compétitivité d’un pays se mesure désormais de plus en plus à sa capacité de diffuser des informations. A l’heure actuelle, les technologies numériques et les réseaux de communication aplanissent les obstacles jadis infranchissables du temps et de l’espace. Cette conquête technologique aura des conséquences économiques d’une portée considérable.

Pour les consommateurs et les entreprises, le coût des transactions diminuera rapidement en raison de la diminution du nombre d’intermédiaires — distributeurs, grossistes, détaillants — entre acheteurs et vendeurs. La durée des transactions diminuera encore plus vite. Phénomène particulièrement révélateur, la création de nouvelles entreprises d’envergure mondiale sera plus simple qu’elle ne l’a jamais été. Outre qu’elle débouchera sur de nouvelles possibilités d’emplois, la concurrence accrue offrira d’immenses avantages aux consommateurs qui verront les choix se multiplier et les prix baisser.

L’essor de la technologie n’est pas, cela va sans dire, un phénomène nouveau. Ce qui est nouveau, c’est la façon dont le développement du réseau des ordinateurs, des téléphones et des télécopieurs accélère ce phénomène en lui donnant plus d’ampleur. Cette économie, dont le moteur est l’information, diffère radicalement de l’économie traditionnelle fondée sur la terre, le travail et le capital par sa mobilité: n’étant pas liée à une région ou à un pays quelconque, elle peut se développer n’importe où.

Dans cette économie mondiale «câblée», l’OMC joue un rôle de la plus haute importance. Il existe une relation indubitable et indissoluble entre la dynamique du progrès technologique et la dynamique de la libéralisation, un lien manifeste entre une plus grande intégration économique et technologique et les règles universelles dont nous avons besoin pour gérer notre interdépendance — règles que seul le système de négociations multilatérales de l’OMC peut permettre de mettre en place.

Trois des principaux succès à porter à l’actif de l’OMC au cours des seuls douze derniers mois témoignent de l’action menée pour consolider ce lien. En février 1997, 69 Etats membres de l’OMC ont conclu un accord relatif à la libéralisation du commerce international des services de télécommunication de base. Près de 93% des quelque 600 milliards USD de recettes, nationales et internationales, générées annuellement dans ce secteur proviennent de ces Etats qui pour une bonne moitié sont des pays en développement ou des pays en transition. Très peu de temps après, en mars 1997, quelque 43 Etats membres de l’OMC sont convenus de supprimer progressivement les droits de douane sur toute une série de produits informatiques, qui représentent actuellement un marché de près de 600 milliards USD par an. Ces droits de douane auront pour la plupart été supprimés d’ici à l’an 2000.

Ensemble, ces deux accords ont permis aux membres de l’OMC de définir encore plus précisément le cadre réglementaire qui régira le commerce des produits de haute technologie au cours du siècle prochain.

Ces deux accords sans précédent ont permis à l’OMC de contribuer à rendre l’évolution économique plus prévisible. Tel est aussi l’intérêt essentiel de l’accord multilatéral conclu en décembre 1997 par 70 Etats membres de l’OMC sur l’ouverture à la concurrence de leurs services financiers, troisième grand succès à porter à l’actif de l’OMC. Cet accord porte sur plus de 95% du commerce des services bancaires, d’assurance, des titres et des informations financières. Comme celui des services de télécommunication de base, le secteur des services financiers constitue, par son importance, une partie essentielle de l’infrastructure de toute économie moderne. Dans les seuls pays industriels, ce secteur rapporte chaque année plus de 1000 milliards USD, soit environ 5% du PIB des pays concernés, et représente 3 à 4% environ du total des emplois dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Autre indication du gigantisme de ce secteur, ses avoirs bancaires dans le monde entier totalisent plus de 40 000 milliards USD, soit plus que le revenu mondial total.

L’accord a été conclu à un moment critique. En dépit de la crise financière qui secoue l’Asie, les Etats membres de l’OMC ont fait preuve de courage et se sont montrés fermement résolus à poursuivre les politiques de libéralisation qui sont indispensables à la stabilité, à la croissance et au développement de l’économie. Cet accord ne compromet en rien la capacité des membres de l’OMC de mener des politiques macroéconomique et réglementaire judicieuses. Bien au contraire, la volonté de libéra-liser exige l’adoption de semblables politiques et contribue à amorcer un processus de réforme plus général.

Quoi qu’il en soit, tout en reconnaissant les possibilités considérables qu’offre l’ouverture des frontières sur le plan commercial, dans une éco-nomie mondiale mue par l’information, nous ne devons pas oublier les nombreux secteurs d’activité économique où les frontières ne sont que trop réelles — comme l’agriculture, le textile ou les biens de production — ni les nombreux pays dont le bien-être économique dépend d’une libéralisation du commerce dans ces secteurs. Si nous ne par-venons pas à concilier, dans notre démarche, vieux objectifs et aspirations nouvelles, nous risquons de voir se fragmenter l’économie mondiale et s’élargir encore le fossé entre les pays «branchés» sur la mondialisation et les laissés-pour-compte.

 

Ce texte est extrait du numéro 2/98 des Nouvelles de l'UIT