Discours du Conseiller fédéral
Moritz Leuenberger
Tunis, le 17
novembre 2005
Monsieur le Président,
Les thèmes de cette seconde phase du SMSI :
infrastructures de télécommunication, technologies et leur utilisation sont
de la première importance pour l’ensemble de nos Nations.
Les infrastructures sont les piliers d’une société. C’est
sur elles que reposent non seulement le développement économique, mais bien
plus encore les principes moraux, la cohésion intellectuelle et l’identité
culturelle. Sans les infrastructures il ne peut y avoir de liberté,
d’indépendance, ou de démocratie. Toutefois elles sont également utilisées à
des fins d’oppression, de manipulation, d’impérialisme, de colonialisme ou
de destruction.
Les Romains disposaient d’excellentes infrastructures,
bateaux et routes, grâce auxquelles ils ont étendu leur influence
culturelle, mais aussi détruit Carthage, dont les ruines se trouvent tout
près d’ici.
Ce qui vaut pour les routes et les voies maritimes vaut
également pour les télécommunications.
Aussi, un Sommet de l’ONU ne peut pas se limiter à une
discussion sur les technologies; il doit également se préoccuper de savoir
comment ces technologies peuvent servir l’intérêt de la société et de
l’individu.
Les Romains appelaient fièrement la Méditerranée "mare
nostrum" quand bien même des Grecs, des Phéniciens et bien d’autres peuples
encore vivaient sur ses rives. Et comme ils considéraient que la mer leur
appartenait, ils se croyaient aussi en droit de diffuser leur culture comme
étant la seule véritable culture. Aujourd’hui, il est clair pour nous
qu’aucun droit moral ne les autorisait à se comporter de la sorte et que
leur aveuglement a entraîné la chute de leur empire.
De même, de nos jours aucune puissance ne devrait pouvoir
utiliser les infrastructures de télécommunication pour renforcer sa
suprématie culturelle et linguistique ou pour asseoir son pouvoir. Pourtant,
nous en sommes tous conscients, cette tendance existe bel et bien.
Certaines langues et cultures prennent de plus en plus
d’importance. Il n’est dans ce contexte souvent plus question d’échanges
culturels. Nous vivons plutôt sous la domination d’une culture mondiale et
uniforme dont la langue véhiculaire est l’anglais. Cette culture est
diffusée par la radio et surtout la télévision, la musique, les supports
sonores modernes et, bien entendu, l’internet.
Celui qui possède les moyens de communication, et en
particulier celui qui détermine les contenus diffusés, notamment à la
télévision, décide des contenus culturels (musique, films, etc.) à l’échelle
planétaire et il détermine aussi l’information.
Dans ce contexte, on procède selon les règles du marché.
Les effets d’échelle sont importants : il faut amener un maximum de
personnes à regarder un programme TV, une série ou un concert pop pour
amortir les droits de diffusion élevés. Les produits sont conçus pour le
plus grand nombre; ce qui est entendu et vu dans le sud du Chili l’est aussi
généralement à Tokyo ou à Zurich.
La liberté d’expression culturelle et linguistique est
absolument essentielle pour l’autonomie et l’identité des hommes et des
femmes, et pour le bien des communautés, des groupes linguistiques et de
tous les peuples. La langue crée des points communs, des communautés. La
communication résulte de ces communautés. Le langage est la structure
mentale la plus importante; elle est l’expression première de l’identité
culturelle.
En raison de la domination anglo-saxonne sur l’internet
et dans les médias, les productions issues de nombreux pays et de nombreuses
cultures restent confinées dans des niches. Alors que les technologies de
l’information pourraient grandement contribuer à la pluralité culturelle et
aux échanges, force est de constater qu’elles mènent à l’uniformité – à la
globalisation au sens négatif du terme, c’est-à-dire à l’appauvrissement des
contenus et de la diversité culturelle. Par conséquent, bien des pays ont
introduit des quotas dans leur législation pour préserver leur langue dans
la musique et éviter que les chansons en anglais ne remplacent la production
locale.
Nous devons nous demander s’il s’agit là d’une évolution
judicieuse ou s’il existe d’autres solutions.
Les contenus culturels ne sont pas de simples
marchandises; le droit de parler sa langue maternelle et le droit à
l’identité culturelle font partie des droits de l’homme. Les technologies de
la communication - l’internet, la radio et la télévision - sont à mettre au
service de l’identité culturelle des hommes et des femmes, de sorte à les
amener vers l’indépendance et la liberté de décision, et non pas pour les
manipuler ou les mettre sous tutelle.
Il ne s’agit pas d’édicter des interdictions ou d’ériger
des barrières, mais de promouvoir les contenus culturels et de les
populariser.
Dans ce sens, la récente adoption lors de la dernière
Conférence générale de l’UNESCO de la Convention sur la diversité culturelle
est un pas dans la bonne direction, mais nous devons poursuivre nos efforts.
Il est trop facile de se contenter de dénoncer la
dominance de la culture anglophone. Dans tous les pays, certaines cultures
en dominent d’autres en se servant justement des moyens de communication
modernes. En Suisse, nous avons quatre langues nationales, mais c’est la
culture germanique qui est majoritaire.
Ainsi, dans mon pays, il existe deux programmes TV et
trois programmes radio à l’intention de la population italophone. D’un point
de vue strictement économique, ces programmes ne se justifient pas, mais les
italophones de Suisse doivent bénéficier des mêmes droits que les
germanophones, pourtant bien plus nombreux.
Dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique, les
radios locales jouent un rôle important dans le domaine de l’information et
du divertissement. Il faut les soutenir en leur mettant à leur disposition
des fréquences, en les aidant à construire des studios et à se servir des
libertés. Il est important que des sites internet et des programmes d’envoi
de SMS existent également dans les langues locales.
C’est là justement que les moyens modernes de
communication peuvent s’avérer utiles. En effet, un câblo-opérateur qui
propose 150 programmes TV par satellite peut offrir ce choix. Il en va de
même avec l’internet et ses innombrables sites.
La mise des technologies de la communication au service
de la liberté de choix des citoyens, doit se faire dans un esprit
d’ouverture et de libertés. Une telle démarche n’est réalisable que dans une
société libre et démocratique qui permet à ses citoyens d’accéder librement
à l’information. Cette condition est indispensable pour que chacun puisse
vivre pleinement son identité culturelle. Les Etats dans lesquels un
ministère décide quelle information est accessible et qui répriment la
liberté d’expression sont encore très loin d’une véritable société de
l’information. Peu importe s’ils disposent des technologies et des
infrastructures les plus novatrices.
L’identité culturelle et la liberté d’expression sont des
valeurs fondamentales. C’est pourquoi nous devons profiter du SMSI pour
souligner avec force l’importance du droit à la liberté d’information.
La qualité de l’information et de la société de
l'information n’est pas déterminée par la technologie ou l’infrastructure
utilisée, mais par la liberté et l’ouverture d’esprit.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
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