Un orage plein de ressources
Pour répondre à la question posée dans le numéro précédent, le scientifique que nous cherchions n’est
pas un personnage issu d’un vieux film d’horreur mais Nikola Tesla, qui est né dans ce qui est aujourd’hui
la Croatie, le 9 juillet 1856, au moment où l’horloge sonnait les douze coups de minuit et qu’un éclair
déchirait le ciel. Même si vers la fin de sa carrière il travaillait sur les «rayons de la mort», Tesla n’en était
pas moins un génie qui a largement contribué à la création du monde moderne. |
La vision du futur de Nikola Tesla
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Nikola Tesla (1856–1943) était le fils d’un prêtre de l’église orthodoxe serbe. Il a été naturalisé américain en 1891 et a passé la plus grande partie de sa vie à New York.
Tesla Memorial Society of New York (www.teslasociety.com) |
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Le courant alternatif
En 1884, Tesla partit s’installer aux Etats-Unis où il travailla, dans les premiers temps, pour Thomas Edison.
Mais leurs divergences de vues l’amenèrent finalement à démissionner. Un de leurs sujets de désaccord
concernait le type de courant électrique le mieux adapté pour alimenter les inventions modernes. Tesla voyait
les avantages du courant alternatif, alors qu’Edison était plus favorable au courant continu. Tesla resta fidèle
à sa conviction et utilisa le courant alternatif pour le premier moteur à induction électrique au monde, pour
lequel il déposa un brevet en 1888. Mais ce qui l’intéressait avant tout était l’exploitation des ondes électromagnétiques.
Rayonner l’énergie
Dans ses travaux, Tesla cherchait notamment à obtenir des tensions et des fréquences électriques très hautes.
En 1891, il déposa un brevet pour un alternateur capable de produire un courant de quelque 10 000 Hz, l’un des
premiers également à produire de manière fiable des ondes kilométriques. En 1892, Tesla fit la démonstration à
Londres d’un appareil permettant de transmettre des signaux radioélectriques. La technique visait principalement
à transmettre de l’énergie électrique sans fils, mais Tesla découvrit qu’une autre application était envisageable, à
savoir la transmission d’informations par voie hertzienne. L’année suivante, il fit des démonstrations semblables
aux Etats-Unis et, en 1897, il déposa un brevet pour un système de transmission de l’énergie électrique; il y indiquait: «l’appareil que j’ai présenté aura bien entendu de nombreuses autres applications — comme par exemple
la transmission de messages intelligibles sur de longues distances». Le brevet des Etats-Unis pour l’invention de
la radio est au nom de Tesla, malgré la période de 1904 à 1943 pendant laquelle il avait été pris par Guglielmo
Marconi.
On peut également voir dans les travaux de Tesla l’origine de la robotique. En 1898, au Madison Square Garden de New York, le scientifique présenta le premier appareil télécommandé au monde: un bateau de 1,2 mètre
qu’il avait baptisé teleautomaton. Il prévoyait que «l’art des téléautomatiques» allait «créer une révolution dans
bien des domaines commerciaux et industriels.»
Simon Morris |
Tesla Memorial Society of New York
(www.teslasociety.com) |
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Les éclairs véhiculent d’énormes charges électriques
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Foudre artificielle créée dans le laboratoire scientifique de Colorado Springs en 1900
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La foudre en laboratoire
En 1899, Tesla ouvrit un laboratoire à Colorado Springs, Etat du Colorado (Etats-Unis), afin de poursuivre ses
recherches dans le domaine de l’électricité à haute tension et sa transmission. Il y construisit le plus grand modèle
existant à ce jour d’un appareil sur lequel il avait travaillé: un transformateur de courant alternatif haute tension
à bobines à noyau d’air. Avec un diamètre de plus de 16 mètres, ce transformateur était capable, disait-on, de
développer une puissance de 300 000 watts et de produire un éclair artificiel d’une quarantaine de mètres de
long.
Aujourd’hui, le transformateur est connu sous le nom de bobine Tesla, en l’honneur de son inventeur qui, lui,
l’avait appelé «émetteur amplificateur». Cet appareil était révolutionnaire en ce qu’il utilisait une bobine à fil double
pouvant stocker beaucoup plus d’énergie que la bobine classique à fil unique. Tesla y ajouta en outre un résonateur hélicoïdal, bobine permettant une haute sélectivité. Tesla aurait, dit-on, réussi à transmettre une puissance
électrique de quelque 40 000 watts sans aucun fil au cours de ses expériences à Colorado Springs. L’émetteur amplificateur était également un oscillateur de fréquences radioélectriques et fonctionnait selon les mêmes principes
que les émetteurs radio modernes.
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La tour de Wardenclyffe devait être le premier élément d’un «système mondial» de
communications hertziennes
Tesla Memorial Society of New York
(www.teslasociety.com) |
Des communications hertziennes à l’échelle mondiale
Tesla cherchait à exploiter l’immense force électrique présente dans l’atmosphère supérieure de la Terre, ou
une partie de ce qu’il appelait l’«énergie cosmique». En utilisant sa technique sans fils, les maisons (même dans les
régions isolées) pouvaient être alimentées en électricité, même sur de longues distances, grâce à une méthode
d’onde de sol, couplée avec une antenne sphérique sur chaque toit. De plus, avec son émetteur amplificateur,
Tesla projetait non seulement de fournir de l’électricité sans aucun fil, mais également de construire un système
d’émetteurs pour la transmission d’information à l’échelle mondiale.
En 1901, le projet de construction du premier des sites débuta à Wardenclyffe, Long Island (Etat de New York)
avec le soutien du financier J.-P. Morgan. Tesla aurait voulu édifier sur le site des installations de recherche, des usines
ainsi que des logements pour plus de 2000 employés. Il rêvait de voir Wardenclyffe fournir un jour un système
mondial de navigation, des communications hertziennes sécurisées et un service mondial de radiodiffusion. Malheureusement, les coûts de construction avaient été sous-estimés et le projet n’a pu être mené à bien, faute de soutien
financier. En 1905, le site fut fermé.
Les rayons de la mort et la paix dans le monde
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«Lorsque le premier site aura été inauguré et qu’on aura démontré qu’il est possible de transmettre un message
télégraphique, presque aussi secret qu’une pensée et quasiment sans risque d’ingérence, sur quelque distance
terrestre que ce soit, de transmettre le son de la voix humaine, avec toutes ses intonations et inflexions reproduites fidèlement et instantanément à n’importe quel autre endroit de la Terre, de transmettre l’énergie produite
par une chute d’eau pour fournir partout de la lumière, de la chaleur ou de la force motrice — en mer, sur terre,
ou dans les airs — l’humanité sera comme une fourmilière dérangée avec un bâton. Sentez monter l’effervescence!»
(Nikola Tesla, au sujet du «Système mondial» de communication qu’il propose.)
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Tesla avait également envisagé d’utiliser le même type de tour qui avait été construite à Wardenclyffe pour créer
un faisceau de particules macroscopiques qu’il appelait téléforce. Le paradoxe a voulu que les commentateurs
parlent de «rayon de la mort» alors que pour Tesla il s’agissait au contraire d’un «rayon de la paix» qui devait aider
à mettre fin à la guerre. L’idée était que le rayon soit utilisé comme bouclier, dissuasif pour les agresseurs.
Tesla est mort à l’âge de 86 ans dans la pauvreté et la solitude. Cet article ne fait qu’effleurer la surface de la vie d’un
homme complexe, détenteur de brevets de nombreuses inventions importantes. Il avait présenté, par exemple,
un système comportant ce qu’on appelle aujourd’hui des portes logiques dans les circuits intégrés des ordinateurs;
l’idée de fragmenter les signaux est à la base des systèmes de cybersécurité d’aujourd’hui. Toutefois, c’est l’électricité
qui fascinait Tesla. Venu au monde comme un «enfant de la foudre», il a su exploiter la puissance des éclairs et essayé
de réaliser sa vision d’un monde alimenté et connecté gratuitement.
Question pour le mois prochain:
Quel est le rapport entre la télégraphie et le concertina?
Réponse dans le prochain numéro des Nouvelles de l’UIT.
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