LARGEUR DE BANDE POUR LES LIAISONS INTERNET
INTERNATIONALES DANS LA RÉGION ASIE-PACIFIQUE
On assiste à une véritable explosion de la largeur de bande pour les
liaisons Internet internationales dans la région Asie-Pacifique. La capacité
sur les liaisons Internet reliant l’Asie-Pacifique au reste du monde a été
multipliée par plus de huit au cours des deux dernières années: de 8 Gbit/s,
elle est passée à la fin de 2001 à 65 Gbit/s1. La capacité Internet
internationale dans la région est aujourd’hui de loin supérieure à la
capacité téléphonique traditionnelle (voir la figure 1).
Ce progrès est d’autant plus étonnant qu’il y a tout juste quelques
années, la région Asie-Pacifique était à la traîne en ce qui concerne le
large bande. Le prix de la largeur de bande Internet était élevé et les pays
devaient payer le prix de la totalité de la liaison en direction des
Etats-Unis, destination privilégiée des connexions Internet. En effet, non
seulement les sites que les internautes voulaient utiliser étaient hébergés
aux Etats-Unis, mais ce pays était également le point de transit le plus couru
pour le trafic Internet. L’Australie se plaignait de subventionner les
fournisseurs de services Internet (ISP) des Etats-Unis. La Nouvelle-Zélande
perdait des activités de commerce électronique avec des compagnies qui
préféraient faire héberger leurs sites web aux Etats-Unis où elles pouvaient
obtenir davantage de largeur de bande pour moins cher. Certains pays de la
région ont opté pour l’utilisation de méthodes telles que l’emploi de
caches (stockage local de pages web fréquemment consultées) pour que les
internautes aient moins à surfer sur des sites hébergés à l’étranger.
La région Asie-Pacifique est celle qui s’est prononcée le plus
énergiquement en faveur de «méthodes de taxation internationale applicable
aux services Internet». Les pays de la région ont voté plusieurs résolutions
demandant une répartition plus équitable des dépenses de connectivité pour
les liaisons Internet internationales. Néanmoins, cette agitation est un peu
retombée dernièrement et la connectivité Internet en Asie-Pacifique a
rapidement augmenté. Quels changements sont à l’origine de cette
augmentation considérable de la capacité?
Celle-ci s’explique, entre autres, par la pléthore de largeur de bande à
disposition. Une demi-douzaine environ de câbles sous-marins à fibre optique
ont été installés dans la région ces dernières années. Par exemple, le
câble qui relie l’Australie au Japon est interconnecté à des câbles
sous-marins en direction de l’Europe, d’autres endroits de la région
Asie-Pacifique et des Etats-Unis, et a une capacité technique de
640 Gbit/s, soit "plus de 500 fois la capacité actuellement disponible au
départ ou en direction de la côte orientale de l’Australie".
Autre explication: la libéralisation. La plupart des pays économiquement
avancés de la région autorisent la
concurrence sur le marché de la largeur de bande pour les liaisons Internet
internationales, ce qui fait baisser les prix de la connectivité. Par exemple,
le Japon, qui a lancé son "Internet initiative", paie un dixième de ce qu’il
payait il y a cinq ans pour la connectivité Internet (voir la figure 2).
Troisième fait marquant: les opérateurs de télécommunication sont
désormais plus à l’aise avec l’Internet. Beaucoup d’entre eux avaient
hérité de réseaux classiques et étaient nouveaux venus sur ce marché. A la
longue, ils se sont rendu compte que leurs propres réseaux traditionnels à
commutation de circuits évolueraient vers des réseaux Internet. Ces
opérateurs traditionnels consentent aujourd’hui d’importants
investissements en faveur des infrastructures
Internet, en privilégiant la connectivité de bout en bout. En effet, si on
doit payer le coût intégral d’une liaison, mieux vaut en être propriétaire
dans sa totalité. L’exemple le plus frappant est celui de l’achat de Verio
par la compagnie japonaise NTT en août 2000, pour un montant de 5,5
milliards USD. Verio, qui est l’une des plus grandes compagnies d’hébergement
de sites web, dispose d’un très important réseau dorsal
Internet. Grâce à cette acquisition, NTT s’est trouvée propriétaire d’un
réseau Internet international lui offrant des points d’accès direct aux
Etats-Unis. Il faut en outre compter avec les alliances régionales et les
participations croisées grâce auxquelles les compagnies peuvent faire jouer
les partenariats afin de réduire les coûts et les chevauchements d’activités.
Par exemple, Hong Kong, la société chinoise Pacific Century CyberWorks
(PCCW) et la compagnie australienne Telstra ont regroupé leurs réseaux
dorsaux Internet pour former le réseau Reach. Autre exemple: des
fournisseurs de services Internet utilisent les réseaux dorsaux Internet de
leurs sociétés mères. C’est ainsi que Sri Lanka Telecom assure une
connectivité Internet vers le Japon par l’intermédiaire de son
copropriétaire NTT tandis que LankaCom, autre fournisseur de services
Internet, assure une connexion à quatre Mbit/s vers Singapour en utilisant les
services de son propriétaire SingTel.
La forte augmentation de la connectivité Internet est, de plus en plus,
considérée comme un événement marquant par la plupart des pays de la
région. Ainsi, en Inde, VSNL, l’opérateur international historique, a
fièrement annoncé en avril 2001 avoir atteint la barre fatidique des 1000
Mbit/s de capacité pour les liaisons Internet internationales: "Avoir
dépassé le seuil des 1000 Mbit/s de connectivité sur des lignes louées est
un tournant décisif pour l’Inde...". Cette augmentation de la largeur de
bande est d’autant plus importante que l’Inde a aujourd’hui une capacité
Internet supérieure à sa capacité de téléphonie vocale. Prenons aussi l’exemple
de Fidji, qui a la chance d’être un point d’atterrissage sur le parcours du
nouveau câble Southern Cross (de
30 500 km de long) qui relie l’Australie et la Nouvelle-Zélande à Hawaï et
à la côte ouest des Etats-Unis. Fidji a dépensé
22 millions USD pour se connecter à Southern Cross, ce qui représente l’un
des plus importants investissements jamais consentis par ce pays insulaire.
Ainsi que l’a déclaré le Président de
FINTEL, opérateur de télécommunications internationales de Fidji:
"Il
ne faut pas sous-estimer l’importance de cet investissement... ce projet aura
des conséquences de grande ampleur... il incitera les investisseurs à investir
à Fidji".
Néanmoins, tous les pays de la région ne sont pas concernés par ce
«boom» de la largeur de bande. Tandis que certains ont une connectivité qui
se mesure en gigabits, d’autres doivent faire avec une largeur de bande
inférieure à celle qui est utilisée pour une connexion de ligne d'abonné
numérique asymétrique (ADSL). Deux groupes de pays sont particulièrement
désavantagés en raison de leur situation géographique défavorable. Le
premier groupe comprend les pays asiatiques sans littoral tels que la R.d.p. Lao
ou le Népal, qui n’ont pas accès aux câbles sous-marins. Le deuxième
groupe est composé des pays insulaires du Pacifique qui se trouvent trop à l’écart
des principaux trajets des câbles sous-marins. Tous ces pays sont dans une
situation où ils doivent s’en remettre à des connexions par satellite, de
moins bonne qualité et d’un prix plus élevé. Un autre facteur qui les
pénalise est le problème des économies d’échelle. Tant que le coût de la
largeur de bande baisse, les économies réalisables sont d’autant plus
intéressantes qu’on en achète de grandes quantités. Or, les petits pays n’ont
pas les moyens de le faire et paient donc la largeur de bande au prix fort. Par
exemple, il apparaît, d’après les recherches conduites par l’UIT, que les
pays de l’Asie du Sud-Est paient entre six et sept fois plus cher que le Japon
la largeur de bande dont ils ont besoin pour les liaisons Internet
internationales. Par ailleurs, l’établissement des prix de la largeur de
bande manque de transparence, puisque les prestataires de services tendent à ne
pas publier leurs prix.
Quelle solution pour
les pays disposant d’une largeur de bande limitée?
Une des façons de faire baisser les coûts est d’ouvrir les
marchés. Certains pays affirment avoir ouvert leurs marchés Internet, sans
restriction d’accès quant au nombre de fournisseurs de services, mais ces
marchés sont en réalité assujetis à des contraintes. Les fournisseurs de
services Internet ne sont pas autorisés à acquérir directement la capacité
internationale dont ils ont besoin et doivent se la procurer auprès du
fournisseur de services passerelles en situation de monopole qui est, en règle
générale, l’opérateur historique de télécommunication. Dans d’autres
pays, même si les fournisseurs de services
Internet ont libre accès à la connectivité internationale, cet accès ne
concerne que la moitié de la liaison et ils doivent demander à l’opérateur
historique de leur fournir l’autre moitié.
Une autre solution consiste à réduire le volume du trafic Internet
sortant.
Il est absurde que les messages de courrier électronique échangés entre deux
utilisateurs dans un même pays transitent par un pays tiers, ce que l’utilisation
d’un commutateur Internet national permet d’éviter. Dans le cas de l’Indonésie,
d’après les estimations des fournisseurs de services Internet, la moitié de
leurs dépenses d’exploitation financent l’établissement de liaisons
internationales Internet. L’association des fournisseurs de services Internet
du pays, en collaboration avec Cisco, a mis en service un commutateur
national Internet pour empêcher le trafic national de passer par un pays tiers.
Les fournisseurs de services Internet estiment qu’ils sont ainsi parvenus à
faire baisser de quelque 15% les prix des liaisons internationales.
Une troisième solution consiste à mettre au point des liaisons
asymétriques. On part pour cela de l’hypothèse que le trafic entrant (par
exemple des pages web venant de l’étranger) est supérieur au trafic sortant
(par exemple une adresse de site web d’une seule ligne). Plusieurs
fournisseurs de services Internet de la région ont donc décidé d’utiliser
le satellite pour leurs connexions Internet, ce qui leur permet d’avoir une
plus grande largeur de bande pour le trafic entrant que pour le trafic sortant,
et donc de réduire leurs coûts. Cette méthode présente toutefois un
inconvénient: elle n’est pas parfaitement adaptée au commerce électronique.
En effet, les utilisateurs de pays étrangers ont un accès plus lent aux pages
web du pays qui a des liaisons asymétriques puisqu’ils ont moins de largeur
de bande à disposition.
Une quatrième solution serait que les pays ayant des marchés de
taille restreinte mettent en commun leurs besoins en ce qui concerne la largeur
de bande, pour s’efforcer d’obtenir une baisse des prix de la connectivité.
En association avec ces mesures, on pourrait envisager d’autres initiatives
visant à faire en sorte que les pays géographiquement désavantagés ne soient
pas exclus de la société mondiale de l’information. On pourrait par exemple
appliquer différentes résolutions qui préconisent le partage des coûts des
liaisons Internet entre les pays.
Économie de l’Internet dans la Région
Asie-Pacifique (2001)
|
|
Nombre
d'utilisateurs |
Nombre
d'abonnés (en milliers) |
|
|
|
Nombre de
fournisseurs de
services Internet |
Total (en millierss) |
Por 100 habitants |
Total |
Large bande |
Largeur de bande
pour
les liaisons
Internet internationales (en Mbit/s) |
Australie |
603 |
7200 |
37,1 |
4181 |
123 |
7000 |
Bangladesh |
60 |
250 |
0,2 |
100 |
- |
40 |
Bhutan |
1 |
3 |
0,4 |
2 |
- |
2 |
Brunéi Darussalam |
2 |
35 |
10,4 |
23 |
- |
60 |
Cambodge |
2 |
10 |
0,1 |
5 |
- |
6 |
Chine |
936 |
33 700 |
2,6 |
17 364 |
203 |
7598 |
Corée (République de) |
99 |
24 380 |
52,1 |
8956 |
7806 |
5432 |
Fiji |
2 |
15 |
1,8 |
6 |
- |
4 |
Guam |
5 |
48 |
30,5 |
|
|
|
Hong Kong, Chine |
258 |
2601 |
38,5 |
2631 |
623 |
6308 |
Inde |
90 |
7000 |
0,7 |
3200 |
50 |
1475 |
Indonésie |
60 |
4000 |
1,9 |
600 |
15 |
343 |
Iran (République islamique d') |
1005 |
1,6 |
402 |
1 |
160 |
|
Japon |
4000 |
55 930 |
43,9 |
24 062 |
3835 |
22 705 |
Kiribati |
1 |
2 |
2,3 |
1 |
- |
0,13 |
Lao (R.d.p.) |
2 |
10 |
0,2 |
2 |
- |
2 |
Macao, Chine |
6 |
101 |
22,5 |
35 |
10 |
120 |
Malaisie |
6 |
6500 |
27,3 |
2115 |
4 |
733 |
Maldives |
1 |
10 |
3,6 |
1 |
- |
5 |
Micronésie |
1 |
5 |
4,2 |
2 |
- |
1 |
Mongolie |
7 |
40 |
1,7 |
10 |
- |
10 |
Myanmar |
1 |
10 |
0,0 |
4 |
- |
2 |
Népal |
15 |
60 |
0,3 |
15 |
- |
10 |
Nouvelle-Calédonie |
4 |
25 |
11,4 |
15 |
- |
8 |
Nouvelle-Zélande |
80 |
1092 |
28,6 |
660 |
17 |
1900 |
Pakistan |
70 |
500 |
0,3 |
200 |
- |
225 |
Papouasie-Nouvelle-Guinée |
6 |
50 |
0,9 |
27 |
- |
6 |
Philippines |
51 |
2000 |
2,6 |
600 |
10 |
237 |
Polynésie française |
1 |
16 |
6,8 |
9 |
- |
8 |
Salomon (Iles) |
1 |
2 |
0,5 |
1 |
- |
0,26 |
Samoa |
3 |
3 |
1,7 |
... |
- |
2 |
Singapour |
42 |
1500 |
36,3 |
927 |
151 |
2639 |
Sri Lanka |
29 |
150 |
0,8 |
62 |
- |
18 |
Taiwan, Chine |
185 |
7820 |
34,9 |
6316 |
1130 |
7228 |
Thaïlande |
18 |
3536 |
5,8 |
1500 |
2 |
642 |
Tonga |
1 |
3 |
2,8 |
1 |
- |
1 |
Vanuatu |
1 |
6 |
2,7 |
2 |
- |
1 |
Viet Nam |
4 |
1010 |
1,2 |
252 |
- |
34 |
Asie-Pacifique |
6654 |
160 217 |
4,6 |
74 290 |
13 979 |
64 955 |
Note: L'accès local à l'Internet
n'est pas disponible en Afghanistan et dans la République populaire
démocratique de Corée.
Source: UIT. |
1 Par largeur de bande Internet, on entend la capacité de la connexion, qui
se mesure en bits par seconde (bit/s).
|